L'idée d'esprit surréaliste à la Belge est décidement trés à la mode depuis quelques années, ce à quoi ma chronique du Voyage à Visbecq a offert un écho inattendu.
En matière de surréalisme à la belgicaine, je viens tout juste de découvrir Nicolas Ancion, auteur dont les livres valent le détour.
Pour rendre compte de l'univers de Nicolas Ancion, on ne peut que l'aborder par sa piéce maîtresse, monument de délire déjanté : le court roman -presque une novella- Ecrivain cherche place concierge.
Sur un point de départ livré dans le titre -notre écrivaillon un peu raté, mais du genre d'écrivaillon raté que vous verrez peu en littérature - se trouve la place de glandeur, euh, concierge désirée dans un château qui réserve bien des surprise pas vraiment au programme : en compagnie du lapin en peluche qui y sert majordome et d'un ours amateur de chocolat, notre héros se retrouve confronté à rien de moins que la redoutable mafia des phoques et des manchots.
On a tout de suite compris qu'on est pas dans le sérieux d'une dissert' d'économie, mais ce synopsis nonsensique ne serait rien sans l'écriture qui lui donne corps, un style drôlatique en roue libre, qui dans ses meilleurs moments semblent un pastiche pas indigne pour deux sous de Boris Vian, et au pire à du Barjavel, mais attention, le vrai et bon Barjavel, l'auteur de ravissants délires poético-surréalistes malheureusement éclipsé par des romans aussi nouillasses que La Nuit des Temps.
Aprés un tel festival nonsense, je me suis empresser d'enchainer avec le recueil de nouvelles Les ours n'ont pas de problèmes de parking, où j'ai du refroidir mes ardeurs en commençant à réaliser que dans l'ordre de lecture de mes trois livres du monsieur verrait décliner la foldinguerie stylistique et sur une pente plus discréte celle de l'imagination, sans en rendre les textes inintéressants pour autant, loin s'en faut.
Le recueil, donc, est assez hétéroclites. On y trouve de la littérature blanche avec le dyptique des récits de vie du belgo-turc Ugur. Le premier volet est une plongée trés juste de ton dans l'univers impitoyable de l'enfance, en revanche le second, à l'âge adulte, m'a semblé terriblement mièvre (faut dire que sa nature de conte de Noël n'arrange pas les choses) et constitue sans doute ma seule déception du recueil.
L'interêt se corse avec les trois nouvelles basculant dans l'absurde. Un absurde qui peut être tendre, comme dans ce braquage d'un pressing qui ne tourne pas du tout comme prévu pour les gansters un peu loser et que l'auteur arrive à placer sous le signe de sa créature fétiche, la peluche, mais peut être aussi bien grinçant, comme dans une relecture particuliére du pari de Pascal et, bien plus glaçant encore, dans le destin tragique d'un brave type qui à la malchance de partager avec un autre un peu moins brave le nom de Marc Dutroux.
L'interêt croit encore de manière compréhensible quand intervient le merveilleux : encore discret, mêlé d'humour noir et de cynisme, avec l'histoire d'une peluche machiavélique qui échaffaude le crime parfait envers son gros bênet de chat de rival. Et bien plus jouissif, le sommet du recueil pour tout dire à mes yeux, avec le dyptique des aventures de Chien brun, un émule de Blacksad qui à l'originalité de mêler dans ses archétypes l'univers du polar hard-boiled (et même d'une touche d'espionnage parodique dans le second volet) avec...celui quand même légérement en décalage des jouets. Cet exercice de style va particulérement loin dans la première enquête de Chien brun, où le gore lui-même est adapté à la nature matérielle des jouets.
Je termine pour ce recueil avec la nouvelle qui m'a le plus surpris, à contre-courant de tout ce que j'ai pu découvir d'Ancion en l'espace de cette journée : La traversée de la place débute sous les mauvais hospices d'une miévrerie menaçante, mais part sans prévenir dans un véritable récit d'horreur bizarroïde aux contours oniriques et incertains, plus proche dans l'esprit du seul mouvement à mériter officiellement le nom de surréalisme, celui d'André Breton, que des délires pataphysiques ou nonsensiques à la Boris Vian ou Lewis Carrol.
Je conclus par le roman Quatriéme étage, dont l'univers est tout différent. On est proche ici d'une science-fiction un peu pataphysique, sise dans un monde où la capitalisme sauvage a fini par imposer la misére la plus noire, avenir dystopique qui prend cependant les couleurs de l'humour absurde, fut-il souvent grinçant.
L'intrigue centrale en est une histoire d'amour, mais un peu particulière, car dédoublée : d'un côté, dans un monde ou la vie est encore un peu douce et digne, un conte de fée improbable où la Bête est un plombier improvisé un peu loser et la Belle sa cliente bien plus distinguée (et comme le sous-entendait mon mot "improbable" le coup de foudre est immédiat, pilule un peu grosse à avaler qui permet de contourner tout un tas de clichés romantocs) et de l'autre, plutôt du côté post-apo du décor, un vieux couples aux abois dont l'homme essaye de cacher à son épouse malade la misére dans laquelle ils vivent. Point commun de ces histoires d'amour ? Elle se déroulent toutes deux dans le quatrième étage d'un immeuble bruxellois. Mis à part l'artifice scénaristique volontairement grossier qui sépare ces deux histoires, pas besoin d'être grand clerc pour en voir le lien, lien qui ne raconte pas seulement une histoire d'amour, mais celle plus douloureuse de ce monde futur dont même en le parant des couleurs de l'absurde, l'auteur a fait, comme tout bon auteur d'anticipation réaliste, un simple prolongement de notre présent.
Un théme donc riche, que j'ai toutefois eu du mal à goûter, d'abord pour la raison un peu bête de ne pas en bon état de réveil à la lecture, ne saisissant pas le fil conducteur d'un livre pourtant loin d'être labyrinthique, mais aussi, pour sauver l'honneur en trouvant une raison dans le texte, de son aspect trés barjavelien, aussi bien dans la SF absurde qu'en grande partie dans le style ; et j'ai beau n'avoir jamais douté des qualités d'une partie méconnue de l'oeuvre de Barjavel, sont style et héritage reste de ceux face auxquelles, aussi injuste que ce soit, mon imaginaire a trop vite vieilli.
Néanmoins, je ne regrette pas du tout la découverte de cet auteur, mes regrets vont plutôt au contraire vers le recueil Nous sommes tous des playmobiles que j'ai commandé trop tard pour le lire en même temps les autres...petit edit de chronique à prévoir, donc.
Toujours est-il que s'il vous intrigue aussi, je ne saurais trop vous conseiller de foncer en priorité sur le fendard Ecrivain cherche place concierge.