Un auteur sur lequel je suis presque obligé de faire un billet, sans doute l'un de mes favoris voir le favori. Un message assez long, vu l'importance d'une oeuvre dont j'ai lu toutes les fictions.
Francis Berthelot a mené sa carrière de romancier et nouvelliste à côté de celle de chercheur en narratologie au CNRS, qui lui a permis d'être le théoricien des transfictions; autrement dit ces textes qui seraient à le limite des genres entre le continent de la littérature dites générale et celui des genres dits de l'imaginaire (SF, fantasy, fantastique). Un concept que certains ont pu jugé fumeux (surtout sur le fait de catégoriser des oeuvres ainsi, ce qui est devenue très à la mode depuis quelques années) mais qui n'empêche pas l'essai / guide de lecture Bibliothéque de l'entre-deux monde d'être une mine de connaissance sur des pépites méconnues de la littérature.
Le mélange des genres est un théme qui ne tient pas seulement à coeur au chercheur mais aussi à l'écrivain, qui a fait partie du groupe Limite, association de quatorze dingues largement nourris de surréalisme dont la frontière des genres est au centre (vous vous en seriez douté, vu le nom du groupe) de leurs deux recueils parus en 1986 et...2006.
Au-delà de la mode transfictionnelle qui ne veut plus dire grand chose à force d'être repris par une certaine frangue de la critique SF, les romans et nouvelles de Francis prouvent que l'on peut à la fois être un gtrand styliste et un grand conteur. C'est simple, sa prose poétique noire, carrément à tomber, est entiérement au service de l'histoire et des personnages, par l'intermédiaire des ambiances et plus encore des images complétement folles qu'elle parviens à susciter, dans la grande tradition surréaliste que l'auteur à trés bien su adapter à l'art du roman.
Il a pu montrer ce talent, devinez quoi, dans un peu tous les genres : space opera et SF plus intimiste, fantasy, fantastique, littérature générale teintée d'étrange, merveilleux ouvertement surréaliste.
J'aime bien chrorniquer les livres d'un auteur par ordre chornologique, mais dans le cas présent je vais devoir introduire avec le seul livre qui m'a déplu au point que je n'ai pas pu en lire plus vingt pages : La Lune noire d'Orion, qui l'a révélé à la littérature en 1980. Certes, détourner le space opera pour en faire le premier livre gay militant de l'histoire de la esséfe française, c'est d'une audace qui force le respect. Mais découvrir ce style plat aprés celui en roue libre de ses créations ultérieures, je ne pouvais pas. Passons.
Nous voilà enfin au vrai Francis avec Khanaor (1983) dont il faut saluer la trés bienvenue réédition de cette année. De la fantasy...genre qui était pour ainsi inexistant en langue française à l'époque ! Vous jugerez de l'interêt de cet ancêtre en pensant que ce qui aurait pu être une fantasy à quête novatrice à l'époque et totalement ringarde aujoud'hui, est en fait d'une toute autre classe.
Le roman nous plonge sur une petite île de l'Atlantique, Khanaor, en l'an 584 (date qui ne joue aucun rôle dans le récit, il faut l'avouer), dans la guerre qui oppose trois royaumes : Aquimeur, gouverné par la magicienne Mervine, la barbare Goldébe et l'opulente Aramante.
Tirons tout de suite notre chapeau : l'auteur n'a pas du tout l'intention de nous déballer le manichéisme un peu puant de la fantasy classique, avec le bon royaume contre les forces du mal. Aucun peuple fondamentalement mauvais, et les meneurs de guerre eux-même sont pressés par le déperissement de la terre de Khanaor. Et aucun chevalier à la mâchoire carré ne sauvera l'île, mais quelques âmes pures qui n'ont rien de personnages archétypaux : l'apprentie magicienne Sigrid, le charmeur de plante goldébe Kurt, amant de l'espion d'Aramante Raïleh (à noter que si l'homosexualité reste un théme majeur des romans de Berthelot, celui-ci abandonne tout militantisme dés ce roman) ou encore l'Anssef, un esprit condamné à passer de corps en corps sous le contrôle de sa géôlière Mervine.
Un roman centré sur l'humain, donc (ce que la fantasy moderne a encore du mal à produire) et comportant également des visions grandioses, telle la scéne démentielle de la forêt possédée. Bref, déjà du trés grand Francis.
Quatre ans plus tard viens le roman le plus étrange et sans doute mon préféré, surtout en assumant carrément son héritage surréaliste : La Ville au fond de l'oeil, roman appelé "psycho-fiction" par l'auteur, et qui se veut la description du monde intérieur d'une personne atteinte de troubles schizoïdes.
Le marionettiste Alexis voit ses pantins mourrir aprés avoir appris que son frére est parti pour Retkah, une ville ravagée par la guerre. Lui-même décide alors de rejoindre sa soeur Sonia dans ce qui a tout lieu d'être un dernier exil, Krizkern, la Ville au fond de l'oeil, incarnation de la folie. Alexis se voit tout de suite confronté au fléau de la ville, le Cloaque, autrement dit le Chaos (je vous laisse imaginer tout ce que se terme peut permettre dans ce contexte), et dont Sonia n'a rien de trouver de mieux à faire que de choisir une incarnation comme mére adoptive.
Le roman, remplie des visions surréalistes, pourra faire penser à Boris Vian, mais en nettement plus glauque et morbide, proche d'un psychédélisme à la Henri Michaux -ce qui n'empêche pas certaines visions d'être plus poétiques et lumineuses. Un théme devient central, qui le sera dans toute l'oeuvre à venir de Francis : celui des artistes et de leur pouvoir, qui ici s'évertue à dompter la folie.
Un roman pour public un peu plus averti que pour le précedent ( qui comporte déjà son lot de scènes trashouilles, de toute façon aucun roman de Francis ne ressemble à un épisode des Bisounours) mais incontournable pour quiconque s'intéresse un peu au surréalisme et à ses formes modernes.
Je termine le premier billet avec un trés beau roman de science-fiction intimiste paru en 1991, un autre aprés Khanaor à être disponible en folio SF ( à la différence de La Ville... épuisé en neuf depuis quelques années).
Rivage des intouchables, c'est son titre, nous transporte sur une planéte déchirée par une hostilité larvée, pleine du souvenir d'une guerre meurtrière et toute récente, entre deux races post-humaines, les Gurdes écailleux du désert et les Yrvénes aquatiques. Arthur, un jeune Gurde, se lie d'amitié -et un peu plus- avec Cassian, tatoueur Yrvéne un peu voyou et plus âgé que lui. Il entre ainsi dans un monde qui revendique de plus en plus sa liberté face à une société rigide : les transvers, ceux qui transgressent le tabou des relations sexuelles entre les deux races.
Mais un fléau viens interrompre l'élan vers la liberté : une maladie qui commence par toucher les transvers, et se manifeste extérieurement par des altérations improbables et surréalistes de la peau (symbole central du récit, comme vous vous en êtes peut-être doutés).
Vous aurez reconnu dans ce fléau tragique une métaphore des années Sida. En transposant cette sombre page d'histoire sur une autre planéte, Francis Berthelot en fait une histoire douloureuse et belle dont il est devenu coutumier. Un sommet d'une oeuvre qui en compte beaucoup.
A suivre : je consacrerai un billet presque entier à oeuvre maitresse, le cycle du Rêve du démiurge.
EDIT : finalement, devant l'impossiblité de faire un résumé détaillé du Rêve du démiurge, je vais inclure toutes les chroniques de Francis Berthelot dans ce billet.
Donc, quand Francis entame au milieu des années 90 ce cycle de neuf romans dont sept sont parus à ce jour, lui-même ne le sait pas encore. Il a simplement signé chez Denoël, à deux ans d'intervalle, ses deux premiers romans de littérature générale, qui n'ont aucun rapport entre eux et pas encore l'intention d'en avoir.
Littérature générale certes, mais l'ambiance fantasmagorique reste présente, même sans élément ouvertement fantastique : imaginaire d'un enfant dans L'Ombre d'un soldat, où le héros Olivier apprend ce qui valu à sa mére l'inimité du village depuis l'Occupation -pas besoin de vous faire un dessin. Légendes bretonnantes dans Le Jongleur interrompu, où le saltimbanque Constantin, condamné par la maladie, espére vivre une renaissance païenne sur l'île d'Anaon où les âmes se réincarnent en oiseau. La prose poétique noire de Francis atteint sa plénitude, créant une lourdeur étouffante et angoissante dans L'Ombre d'un soldat, une dureté intolérable dans les derniers chapitres du Jongleur interrompu. Ce qui n'a pas empêché que la beauté du texte me rendes incapable de faire une pause-respiration dans le cycle.
Aprés cette incursion dans la littérature générale, les choses se compliquent avec Mélusath, au point que l'auteur doive migrer chez Fayard et ainsi entamer un des parcours éditorial les plus chaotiques qu'on puisse imaginer pour une série.
C'est que Mélusath, non content de faire se rencontrer des personnages des deux premiers romans, introduit un élément ouvertement fantastique : le génie qui donne son nom au roman, protecteur d'un théâtre où l'on doit jouer une tragédie sur les Atrides, plongée dans le mythe qui s'annonce éprouvante pour au moins trois personnes de la troupe.
L'avantage de ce sujet, c'est de donner aux mises en abymes d'oeuvres d'arts, omniprésentes dans l'oeuvre de l'auteur, une dimension surréaliste vertigineuse.
Chez Fayard suit Le jeu du cormoran, sans doute l'oeuvre du cycle dont l'imagination est la plus étrange, à tel point que je vais m'attarder un peu sur l'intrigue. Il s'agit d'une quête jusqu'en Finlande, par un ancien compagnon de cirque du jongleur Constantin, d'un cormoran qui pourrait être la réincarnation de ce dernier. Le brutal Ivan pars donc sur les routes en compagnie de l'asiatique Moa-Tao, qui a réagi aux querelles déchirantes entre ses parents en devenant asexué, et de Tom-Boulon, ancien chef-opérateur du théatre protégé par Mélusath, sombré dans l'alcoolisme aprés le départ de la femme qu'il aimait, et qui transforme littéralement en alcool tout ce qui l'environne.
Le cycle se poursuit, l'idée de ligne générale se faisant plus précise dans l'esprit de l'auteur, selon ses propres dires, aprés le cinquième tome. Il serait fastidieux de résumer chaque romans, surtout en ne saisissant pas forcément les passages de l'un à l'autre par l'intermédiaire des personnages. Parlons plutôt de la ligne générale (en gros, une saga mêlant plusieurs personnages entre 1952 et 2000 -nous sommes actuellement arrivé en 1987) et, surtout, des images marquantes.
Nuit de colére, paru chez Flammarion, est une variation sur la télépathie, don maudit hérité par le jeune héros de son odieux pére, chef charismatique d'une secte dont lui-même est l'unique survivant du suicide collectif. L'un des grands sommets du cycle et l'un des chef-doeuvre de Francis Berthelot, dont la moindre réussite n'est pas de donner une ampleur épique à une image centrale : la flore qu'aperçoit le héros quand il sonde les esprits, et qui différe selon les indvidus.
Suivent deux romans chez le Bélial :
Hadés Palace, plongée hallucinante dans une grande maison d'artiste au prestige mondial...et dont on ne peut pas sortir. Ah ça, le patron, le sinistre Bran Hadés, ne plaisante pas, et les artistes qui ne sont pas au niveau exigé sont rééduqués selon des méthodes un peu nazies dans le second cercle, et s'ils n'ont toujours pas compris, les attend un troisième cercle qui a tout d'infernal. On est loin de la littérature générale des début, plutôt dans une épopée flamboyante et sombre, un réalisme magique qui prend des proportions de fantasy..comme Khanaor, tiens.
Le petit cabaret des morts, où il est question d'expériences sur les âmes des morts captives, mêlé à un chassé-croisé érotique assez vénéneux, m'a demandé un moment d'acclimatation tant les enjeux de l'intrigue, sise dans un village des Alpes, n'ont pas le grandiose d'Hadés Palace. Par contre, les liens avec le romans précédents sont bien plus forts, ce qui est de trés bonne augure pour la suite.
Pour cette suite, justement, la malédiction éditoriale du cycle a débouché sur une expérerience originale : Carnaval sans roi paraitra silmultanément chez deux éditeurs, en numérique chez le Bélial, sur papier chez Rivière blanche. (EDIT : il est d'ailleurs Chroniqué depuis)
Avant de quitter ce grand monsieur, un petit mot sur ses deux recueil de nouvelles : La Boîte à chimère chez Fayard, Forêt secrète chez le Bélial. Deux recueils où vous pourrez trouver des collaborations au groupe Limite, mais aussi aux anthologies du mouvement de la Nouvelle fiction qui a mené plus tard un projet sembable de jeu avec les frontières des genres.
L'occasion surtout de découvrir que l'auteur est aussi bon nouvelliste que romancier...même s'il n'aime pas trop écrire des nouvelles et préfére de loin les romans !
A noter sur Forêt secréte : le recueil doit son titre au pays de conte de fée ou prennent place la première et la dernière nouvelle, plus proches de deux contes.
La première, Le Serpent à collerette, a fait l'objet d"un trés beau livre d'art que je n'ai malheureusment jamais eu entre les mains. Il s'agit d'une variation métaphorique sur un sujet grave, la pédophilie, ici devenue l'agression d'un serpent qui viens étouffer chaque nuit la fillette au son de la flûte de l'odieux beau-pére. Vous jugerez de la délicatesse que permet une telle métaphore.
L'auteur a aussi utilisé ce pays dans son unique incursion dans la littérature jeunesse, le trés beau conte La maison brisée, autre belle métaphore, cette fois çi du divorce, où la maison du petit Pierre-Plume se partage en deux parties, dont l'une se réfugie sur la lune et l'autre au fonds des mers. Une histoire de divorce qui a en outre l'intelligence de ne pas prendre les enfants pour des idiots avec une happy end qui ne résoud aucune angoisse !
Sur cette petite page de douceur aprés le bruit et la fureur des précédents livres, il est temps de clore ce billet.