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10 février 2011 4 10 /02 /février /2011 09:43

http://ecx.images-amazon.com/images/I/51W5PBik43L._SL500_AA300_.jpg 

Samedi et Dimanche, série BD publiée au mythique Poisson Pilote (dont elle a les graphismes caractéristiques) par Vehlmann et Gwenn (Gwenn de Bonneval de son pseudo complet) est depuis environ trois ans disponible en une belle intégrale regroupant les quatre volume sous le titre La Trrrrrrrès grande aventure de Samedi et Dimanche. En moyen format, sans doute pour la rendre  plus accessible financièrement, sans que cela ne gêne étant donné la grandeur des cases. Bref, il n'en fallait pas moins pour que je me laisse tenter, ce en quoi je fus bien inspiré. 

 

  Samedi et Dimanche, donc, sont deux lézards qui vivent des aventures assez loufoque sur une île  tropicale qui ne l'est pas moins. Et sur le plan du merveilleux loufoque, cette série est un bijou qui ne démérite pas de la vaste famille d'un Lewis Carroll, ou pour rester dans les références BD, d'un Fred ou d'un Mandryka. Il serait fastidieux de faire l'inventaire des trouvailles poético-barjos qui truffent les quatre albums, au moins résumer ceux-ci donnera un prétexte à les évoquer quelque peu.

  Le premier album, Le Paradis des Caillou, démarre lorsque Samedi est  atteint de questionnite aigue (diagnostic authentique, bien sûr), et se pose surtout la question qui tue : d'où viennent donc son ami Dimanche  et lui-même, qui semblent être les seuls représentants de la gente lézarde ? Le récit prend une allure philosophique très trompeuse, plus proche d'une parodie façon Concombre masqué du susnommé Mandryka, en plus light. C'est parti pour un périple à travers l'île, qui les fera traverser des lieux aussi étonnants que la foire au réponse ou le dangereux pays du Bonheur, rencontrer un monstre invisible ou, le moment peut-être le plus frappadingue de l'album, un dinosaure qui prétend les avoir connu. Sans même parler des personnages récurrents de la série comme Roberto, le vieil oiseau qui ne sait voler qu'un dormant. Ce premier album est peut-être le moins structuré de la série, ressemblant volontiers à une série de sketches, ce qui n'en diminue pas l'intérêt pour autant.

  En revanche, dés le second album, les scénarios deviennent un peu plus solides. Coeur de palmier montre l'intégration des deux amis dans leur espèce saurienne retrouvée, les nouveaux venus appelés à devenir l'arbitre de la petite révolution de la jeunesse qui quitte enfin les caves renfermés où vivent les lézards. L'album n'est peut être pas le plus délirant, même si cette affirmation reste toute relative. C'est le tournant de la série vers l'intimisme et une gravité nouvelle, l'album étant centré sur la découverte de l'amour par les deux (anti)héros. Pour les lecteurs du blog qui ne sont pas encore partis en courant, aucune pseudo-psychologie rasoir à craindre, car tout est traité sur le mode de la dérision.

  Dans Le Profil du Pingouin, Samedi attend des enfant avec sa compagne Julie, mais quitte celle-ci pour le prétexte fallacieux d'apporter le confort financier à sa famille en se mettant en quête de la "baleine de la fortune". Cette aventure maritime, seule échappée hors d'une île qui en est déjà riche, en aventures, sera plutôt parodique : la "baleine de la fortune" n'a rien d'un pays de Cocagne, mais se révèle une transposition loufoque de notre monde du travail, que ce soit dans les entretiens ou dans les jobs improbables qu'on dégotte pour notre pauvre Samedi et plus tard Dimanche, et qui ont tous rapport avec la mer (et sont également liés par des péripéties et non plus juxtaposés, quand je dis que les intrigues se font plus solides). Côté profondeur, les personnages progressent  d'un album à l'autre, aux badinages amoureux des ados attardés (ce qu'étaient tous les djeun's lézards du précédent album, tiens) se substitue un tout autre problème, celui d'assumer sa paternité.

   L'Odyssée aux allumettes clôt magnifiquement la série sur l'Aventure avec un grand A dans laquelle Dimanche décide de se lancer pour guérir de son vague-à-l'âme. Muni de trois allumettes -c'est tout ce qu'il a eu les moyens d'acheter au magasin de l'aventure- Dimanche  porte son choix sur une maison inaccessible. Or Dimanche est pour ainsi dire un aventurier du dimanche qui s'attire toutes sorte d'ennui avec des créatures aussi dangereuses que le mange-pote, par  exemple. Les auteurs semble avoir eu envie de clore la série (non, je vous rassure, ça finit bien) et le font avec brio dans une mélancolie douce, et une solution intelligente, loin de la facilité que nous laissait craindre (exprès ?) le début, au vague-à-l'âme de Dimanche.

 

  Bref, assurément une très grande BD, qui pérpetue avec brio la grande tradition de la loufoquerie carrollienne tout en y ajoutant avec autant de brio un élément pas si courant, l'intimisme.

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4 février 2011 5 04 /02 /février /2011 21:25

http://www.culturopoing.com/img/image/olivier/cabeza_affiche.jpg 

Cabeza de Vaca est un film hispano-mexicain d'un certain Nicolas Echevarria et qui, bien que sorti en 1991 (ce dont je ne me serais jamais douté) n'est apparemment sorti en France que le 22 décembre dernier. Heureusement qu'il existe toujours de courageuses salles d'Art et Essai pour nous faire découvrir des pépites injustement ignorées.

  Il s'agit d'une adaptation des récits de voyage de l'explorateur du XVIème siècle qui donne son titre au film. Et quel récit de voyage !  Alvar-Nunez Cabeza de Vaca, trésorier de la couronne d'Espagne, fait naufrage en 1528 au large de la Floride, et devras parcourir l'Amérique à pied pendant huit ans pour rejoindre la plus proche colonie espagnole au Mexique. Durant tout ce temps, il aura l'occasion de vivre à deux reprises parmi des tribus indiennes, seul d'abord, puis en compagnie d'autres naufragés de l'expédition rencontré en mauvaise posture.

 

  La grande force du film, est avant tout, sans grande surprise, sa reconstition historique. Deux aires de civilisations américaines nous sont présentés, indiens des marais, puis indiens bâtisseurs des déserts. On regrette de ne pas savoir les noms des peuples représentés, mais l'immersion  dans ce monde disparu est fascinante, donnant lieu à des scènes trés fortes comme le sacrifice où les naufragés sont à deux doigt de passer. L'aspect rituel est omniprésent dans le film, contribuant à son ambiance fortement psychédélique - le cinéma où je l'ai vu le projette en duo avec La Montagne sacrée de Jodorowski.

  Le psychéchélisme, voilà qui me permet de faire la transition vers l'originalité du film, car pour un film historique, on est trés loin des versions convenues que peux nous sortir à tour de bras Hollywood. Déjà, les mémoires de Cabeza de Vaca ont évidemment fait l'enjeu des interprétations personnels du réalisateur : voir Alvar vivre de véritables amitiés, voir l'amour, auprès des indiens, ne serait-ce pas la vision de l'humanisme moderne plutôt que d'un haut fonctionnaire espagnol du XVIème siècle ? Même sans avoir lu les mémoires en question, le film lance en toute honnêteté le spectateur sur cette piste : par un pacte entre naufragés, Alvar devra mentir sur l'expérience qu'il a vécu de peur de passer pour fou. Et l'Alvar du film, que l'on ne nous montrera jamais revenu mentalement à la civilisation, devient un porte-parole du drame indien, symbolisé par la trés percutante image finale dont je ne saurais déterminer précisement, devant son étrangeté, si elle n'est pas un pur trip onirique.

  Le réalisateur va plus loin dans la vision moderne, à travers, je l'ai dis, le psychédélisme. De fait, ce sont de  véritables ambiances fantastiques qu'il nous sert,  du fantastique fondé sur l'hésitation comme l'a défini Todorov. Ainsi une scène troublante et difficile à interpréter montre le maître d'Alvar parmi les indiens des marais, crever lors d'un rituel complexe l'oeil d'un grand dessin humain, et un indien perdre son oeil dans la scène suivante. Y a t-il vraiment un rapport ? En tout cas, cet événement marque le début de la carrière de guérisseur d'Alvar, qui accomplira ses miracles chez les deux peuples indiens qui l'accueilleront.

 

  Un véritable bijou psychédélique, doté d'un souffle épique auquel le cinéma nous a rarement habitué (je parle bien du tout-venant du film historique, volontier empesé, tout le monde ne s'appellant pas Herzog pour citer un nom au hasard). Maintenant que les salles françaises ont rattrapé leur retard, on attend une édition DVD avec impatience.

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31 janvier 2011 1 31 /01 /janvier /2011 19:14

 http://www.actusf.com/spip/IMG/jpg/transdestigres150.jpg

Un nouveau petit OLNI publié par les éditions Hydromel. La novella de Léo Kennel, Transparence dez Tigres-Souvenirs transgéniques, titre qu'on chercherait en vain à interpréter, est placée dés sa quatrième de couverture sous le sceau du surréalisme. Et effectivement, on est en plein dedans, bien plus que chez bien d'autres oeuvres se réclamant de son héritage.

 

  L'histoire, puisqu'il faut en trouver une, est celle d'une petite (?) fille qui entreprend de s'évader de la Zone des friches, désert semé de friches industrielles et perpétuellement plongé dans une nuit orageuse, où est enclose la cité où elle a grandi.

   Ce court roman de 70 pages est alors découpé en deux, hum, "intrigues" parallèles : de courts chapitres aux titres biscornus montrent le périple lui-même, jallonné  de découvertes étranges que viennent inévitablement annoncer, en début de chapitre, l'apparition d'un chat borgne (les "chat-bornes"); en alternance, des chapitres plus long et simplement numérotés reviennent sur la vie passée dans la zones, en une série de saynétes surréalistes qui s'enchainent sans ordre apparent et sans transition à l'intérieur même de chaque chapitre. L'ensemble donne davantage l'impression d'un très long poéme en prose que d'un véritable roman.

  Je vais sans doute doute paraître monomaniaque, surtout après ma chronique de  L'Ecorcobaliseur de Berengére Cournut, mais le style de cette novella m'a immédiatemnt fait penser à Henri Michaux (visiblement une source trés féconde pour les héritiers du surréalisme, sans doute en raison d'un potentiel narratif plus fort que chez n'importe quel poéte officiellement surréaliste). Cette fois, le parallèle m'a  semblé bien plus flagrant, au point de faire songer à un pastiche : ambiance constamment inquiétante, saynétes rigoureuses dans leur absurdité, importance d'une flore et d'une faune aussi bizarroïdes l'une que l'autre, mots inventés, et jusqu'à l'art de passer du coq à l'âne, l'univers de Léo Kennel est quasiment celui de Michaux.

  En tout cas, si pastiche il y a, il ne démérite pas le maître, offrant des images réjouissantes d'étrangetés, cultivant une véritable poésie du bizarre. Le tout sur une plus grande longeur qui plus est, ce qui est une certaine performance.

  J'émettrais une réserve sur la tentative de donner progressivement un sens politique à l'oeuvre (et de la rattacher ainsi à la novella dystopique du même auteur, La Nuit en sursaut) , ce qui m'a un peu gonflé tant  l'univers semble peu se prêter à ce genre d'essai.

 

  Mais c'est un bémol mineur face à ce petit bijou qui porte haut les couleurs de l'héritage surréaliste. 

 

  Pour terminer par une vieille habitude, la chronique qui m'a fait découvrir le livre, et se montre plus détaillé sur l'univers: link  

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27 janvier 2011 4 27 /01 /janvier /2011 22:50

http://www.riviereblanche.com/carnavalsansroi01.jpg 

Ca y est, il est enfin paru ! Le cycle du Rêve du démiurge que j'ai évoqué  dans mon article sur son auteur Francis Berthelot, en est à son huitème tome. Le parcours éditorial chaotique du cycle a conduit cette fois, si j'ai bien compris les aimables explications de l'auteur,  à une double édition de Carnaval sans Roi, en numérique chez le Belial, en papier chez Rivière blanche, objet que j'ai désormais dans les mains, avec sa couverture incongrue dont on cherchera en vain le rapport avec le roman.

 

  Celui-ci est la suite directe du cinquième épisode de la série, Nuit de colère, et du septième et avant-dernier, Le Petit cabaret des morts. Le héros du premier, le télépathe Kantor, qui a perdu son pouvoir en sauvant son ami Octave du gel catatonique, se voit confier une tache énorme par un psychiatre qui lui restaure sons don pour l'occasion : débarasser un personnage central du  second roman, Alvar Cuervos, des cinq esprits qui le possédent.

  Les romans du cycle du démiurge ont beau être conçu pour se lire de façon autonome, vous comprendrez aisement que je conseille fortement la lecture des précédents tomes afin de mieux comprendre les tenants de l'intrigue. Si vous avez la flemme de tout vous fader, prenez au moins en route à Nuit de colère ; pour les âmes qui possédent Alvar, leur histoire épique commence au moins au sixième volume, Hadés palace, dont j'ai déjà évoqué le place de tournant dans la cohésion générale de la série, laquelle prend de plus en plus l'aspect d'un cycle d'aventure. De toute façon, le cycle entier, vous n'y couperez pas, ne serait-ce qu'en préparation du tout dernier roman de la série, Abîme du Rêve, dont je croise les doigts pour bien voir la parution d'ici 2012 -date annoncée également de la triple intégrale du cycle au Belial, yes !

 

    Pour ouvrir la chronique sur une note subjective, et pour être franc, j'ai attaqué ce roman avec une certaine inquiétude: le style de Berthelot saurait-il toujours autant m'enchanter ? Le problème était sérieux, non seulement après un an et demi d'attente insoutenable  après avoir dévoré les sept premiers tomes en quatre jours, mais après m'être familiarisé avec le principe de la prose poétique sous ses formes les plus vertigineuses, auprès des George Limbour, René Crevel et consort. Et le début du roman a semblé un instant confirmer mes craintes, laissant l'impression d'un style emprunté.

  Mais j'ai eu le grand bonheur d'être vite détrompé. Certains passages, comme je n'en avais pas conscience auparavant;  peuvent en effet paraître empruntés, dans des creux de l'intrigue ou un style épuré serait peut-être plus judicieux -mais qui suis-je pour juger le travail de  Berthelot ?- mais la plupart du temps, le style latte toujours aussi sévérement la tronche, si vous me passez l'expression. Il peut vous asséner ses coups de lattes gratuitement, mais pas inutilement, comme à titre d'exemple les descriptions de "l'odeur de la folie" qui régne dans l'asile. Mais je pense évidemment aux moments où on l'attend au tournant, c'est dire dans le feu de l'action où celle-ci se mêle aux descriptions surréalistes, et ou plus que jamais la forme sers le fond et non l'inverse.

  Au menu, on entame le hors-d'oeuvre avec la folie d'Alvar vu de l'extérieur, passage presque impossible à décrire pour celui qui ne l'a pas lu, où l'ont voit avec plaisir dévellopée une expérimentation ô combien justifée, mais vite expédiée en fin de roman précédent.  Puis viens le plat de résistance : la plongée dans la psyché du possédé, autre expérience littéraire à vivre, assurément. Dans Nuit de colére, Francis Berthelot avait réussi à donner l'aspect d'un récit d'aventure aux incursions télépathiques de Kantor, brodant sur l'idée géniale de représenter les esprits infiltrés comme des paysages adaptés à leurs propriétaires. Dans Carnaval sans Roi, le défi est de taille : adapter cet exercice à un seul esprit, avec assez de péripéties pour en faire un roman. Et le pire, c'est que ça fait bien mieux que réussir, l'odyssée télépathique gagnant une force incomparable en se concentrant sur un esprit unique.

  Question suspens, Kantor prend le risque de s'attaquer à un esprit l'un après l'autre pour le faire sortir, d'où problémes en chaine, mais avec une direction -on est loin du scénario inter-minable et tournant en rond du film L'effet papillon, par exemple- et ses voyages successifs sont autant d'occasion de descriptions hallucinantes qui constituent probablement le sommet du cycle -je me retiens, par prudence, de dire : de l'oeuvre de l'auteur.  Le tout est organisée selon une structure qui pourra éventuellement rebuter : celle de la musique, et plus seulement dans les titres de chapitre comme dans Le petit cabaret des morts. Non, cette fois le roman adopte la structure d'une symphonie, certains chapitres se faisant écho  symétriquement d'une partie à l'autre. Il n'est pas impossible que certains trouvent cette structure trop répétitive, même si elle a tout à fait fonctionné sur moi, la cadence lancinante de l'intrigue complétant celle de la langue.

  Assurément, Berthelot arvie au sommet de son talent de conteur, n'oubliant même pas d'alléger le roman par des dialogues truculents aux allures de série B, ou plutôt de séries télé qui lui sont chéres, entretenant ce constraste entre feuilleton alerte et réalisme magique d'inspiration surréaliste, qui donne un style si particulier à ses derniers romans  depuis au moins le grandiose Hadés Palace.

 

    Encore une preuve  que Francis Berthelot est un des grands magicien de l'imaginaire français. En tout cas on attend la suite et la fin de ce grand cycle , et vite.

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24 janvier 2011 1 24 /01 /janvier /2011 21:23

  http://www.noosfere.org/images/couv/m/malpertuis14-2010.jpg

J'ai découvert l'oeuvre de Nico Bally par ses forts recommandables nouvelles auto-éditées (et pourtant Dieu sait qu'il faut en général se méfier de l'auto-édition) : le recueil Un remède à la mélancolie et ses deux "mini-roman", le déjanté et trash Junkie Yoga et, le texte que je préférait jusque là, le trés poétique conte fantasy Cendrécume.

 

  L'Oeil clos est un roman cette fois publié de manière plus orthodoxe chez Malpertuis, maison spécialisée dans le fantastique. Plus qu'un roman, il s'agit d'un cycle de nouvelles narrant les aventures d'un jeune dandy, Nicolas Bally (cette auto-citation n'est pas neuve dans les textes de l'auteur) à travers un XIXème siècle fantasmé. A première vue, on pourrait penser à une enième variation sur univers steampunk et gothique, la 4ème de couverture ne retenant maladroitement que les thèmes des plus classique comme les cercles occultes, les fantômes ou, horreur glauque en cette période d'over-production littéraire, les vampires.

  Mais l'univers de L'Oeil clos est bien plus subtil. L'uchronie céde volontier le pas au flou de l'onirisme (un esprit snob parlerait de transfiction) semant dans cette Europe XIXème des lieux aussi fantasmagoriques que la cité incendiée de Limaille et ses innombrables cathédrales jamais restaurée, ou bien la cité glaciale de Cendrécume, récurrente dans l'oeuvre de l'auteur.

  Dans cet univers aux accents volontier surréalistes, les aventures des Nicolas Bally sont autant d'occasion d'aborder un nouveau registre du fantastique (dont les arguments sont  d'ailleurs volontiers originaux) : onirisme pur, de toute beauté, avec l'expérience psychédélique de la toute première aventure, dont la conclusion donne son titre au roman ; merveilleux avec les cité suscité, Limaille étant le lieu de plusieurs nouvelles ; science-fiction pas vraiment réaliste, pour le coup vraiment steampunk, avec les nouvelles mettant en scène le laboratoire Sephir ;  poésie macabre et dérangeante, virant vers le gore, avec l'histoire d'une passion pour la dame d'Edler dont le corps transpire le sang ;  horreur un brin surréaliste avec une agression par les hideux rubishins ; du fantastique plus classique aussi, sans pour autant tomber dans la facilité, mais à l'opposé également du fantastique plus diffus, qui comme par hasard vient souvent à travers la mise en abyme du travail d'écrivain de Nicolas Bally, qui hante tout l'ouvrage : pouvoir de sugestion du pervers feuilleton Malsainte, ou bien histoire plus proche de l'étrange que du fantastique (sauf dans sa résolution) d'une femme qui n'aime Bally qu'à travers ses écrits.

  Toutes ces histoires à l'imagination débridée sont écrite dans un style extrêmement concis : l'auteur de ne perd pas de temps, expédie certaines péripéties pour ne garder que ce qui l'intéresse, et n'en sait pas moins planter remarquablement bien une ambiance fantastique  Certains trouveront peut-être le style un peu sec, même si je n' ai pas du tout ressenti cette gêne et l'ait au contraire trouvé rafraichissant.

 

  Bref, malgré les petites maladresses d'un premier roman, L'Oeil clos est assurément un petit bijou qui devient sans doute incontrounable si vous suivez ce qui se publie en fantastique moderne. 

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21 janvier 2011 5 21 /01 /janvier /2011 22:19

http://www.khimairaworld.com/bibliotheque/post/image/Arrietty_affiche.jpg 

Les ineffables studios Ghibli sont de retours au cinéma, avec un film qui n'est pas réalisé par Miyazaki, mais quand même scénarisé par le Maître  sur sa propre idée originale (gardons-nous toutefois d'oublier la travail prodigieux du metteur en scène).

 

  Arrietty, le petit monde des chapardeurs, adaptation libre d'une série de livre anglais pour enfants comme on me le souffle dans l'oreillette, met en scène la rencontre de deux êtres que tout sépare : Sho, jeune garçon affligée d'une maladie du coeur, et Arrietty,  enfant unique d'une famille qui pense être la dernière de son espèce, des liliputiens vivant de rapines depuis leur maison bâtie sous celle de Sho. La grande angoisse de cette petite famille, c'est d'être découverte par les humains, ce qui, en vertu des principes de prudence de leur espèce en voie d'extinction, les oblige à déménager.

  On le voit, pas de quoi faire une grande épopée de fantasy, et tant mieux, car on commence à être fatigué des Elus de pacotilles en quête crétine pour le salut du monde, et un film Ghibli comme Arrietty (ou Totoro) avec ses problèmes à taille humaine (le grand méchant est ici une gouvernante obsédée par la capture des petits hommes et dans la tradition des "méchants" miyazakiens" -ça veut tout dire), avec son intrigue lente et posée, toute en touches discrètes, est bien davantage qu'un vent de fraicheur : ce n'est pas mon genre de me la jouer prescripteur, mais montrer ce film et d'autre Ghilbi à vos têtes blondes devient une oeuvre de salut public par ces temps de formatage effroyable de la culture jeunesse (ce n'est pas une maxime de comptoir, je sais de quoi je parle). La fin douce-amère, pas précisment happy end mièvre, tout en étant trés loin d'être malheureuse, est d'ailleurs  une nouvelle preuve, s'il en fallait, de la subilité miyazakienne.

 

  Concernant la réalisation de Hiromasa Yonebayashi, c'est du grand Art. Les dessins fourmillent d'un luxe de détail, la nature chère aux studios explosent à chaque plan, les graphisme des paysages verts ayant de furieux airs airs d'estampes ou de tableaux fauves. Comme j'ai pu y faire bien attention après lecture d'un avis, la petitesse du monde des chapardeurs est rendu crédible avec une rigueur d'orfèvre, jusque dans la consistance des liquides, sans parler du travail sur les bruitages pour le point de vue des petits bonshommes.

  Pour ne rien gâter, histoire de ne pas soigner que l'image, la BO du film, de toute beauté, est confiée à notre néo-bardesse bretonne Cécile Corbel -c'est personnellement l'argument ultime qui a fait pencher la balance vers ma décision de voir le film.

 

  Sand doute une sortie ciné majeure de ce début d'année, ne la manquez pas !  

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12 janvier 2011 3 12 /01 /janvier /2011 15:10

http://www.editions-attila.net/img/couv_tresor_treehorn.png

Les éditions Attila, du haut de leurs deux ans d'existences, ont décidemment un fonds d'une grande richesse. Aprés m'avoir fait découvrir des merveilles comme  L'Ecorcobaliseur de Berengére Cournut  ou Les Jardins statuaires et Les Mers perdues dans Le Cycle des contrées de Jacques Abeille , les voilà qui récidivent  avec la trilogie d'album Treehorn, dessinée par Edward Gorey et écrite par Florence Parry Heide.

  Une injustice est ainsi réparé, car le dessinateur Edward Gorey est adulé aux Etats-Unis, revendiqué comme maître par Tim Burton, mais quasi inconnu en France.

 

  Treehorn est un petit garçon auquel il arrive tout un tas d'aventures : il rapetisse dans Le Rapetissement de Treehorn, voit des billets  pousser dans un arbre du jardin, aprés y avoir caché en dollar, dans Le Trésor de Treehorn, enfin découvre le génie de la jarre le jour de son anniversaire dans Le Souhait de Treehorn.

  Ces aventures, amusantes en elle-même et non dépourvues d'une certaine féérie burlesque et poétique (par exemple dans la cause du rapetissement dans le premier album, ou plus proche du burlesque pur la scène du restaurant dans le suivant) ces aventures sont surtout rehaussées  par l'humour pince-sans-rire des auteurs. Les aventures fantastiques de Treehorn ne sont jamais présentées comme telles, ne rencontrent aucun étonnement, voir une certaine indifférence, de la part des adultes (hyperbole poétique du fait que les parents de Treehorn ne sont guère attentionnés) ou même de l'agressif ami de Treehorn, Moshie, et Treehorn lui-même est plutôt placide face aux événements extraordinaires, ne pense qu'à s'acheter des BD avec l'arbre à dollar, ne se soucie pas plus que ça d'avoir gaspillé ses trois voeux.

 

  Et évidemment, on attend les dessins au tournant. Dans ce cas, il ne faut pas s'attendre à une débauche d'images impressionnantes comme on peut en trouver aujourd'hui dans les albums jeunesse. Les dessins sont en noir et blanc, aux traits simples et presque minimalistes -bien qu'encore assez détaillés- et occupent sagement une page sur deux, l'autre étant dévolue au texte. Bref, il faut au lecteur faire une petit effort pour apprécier pleinement leur beauté.

  C'est que les dessins de Gorey dégagent un onirisme subtil derrière les plus petits détails du décor, fussent-ils une déco intérieure ou des chiens qui passent. Ces derniers se retrouvent d'ailleurs dans le deuxième album  qui est peut-être le sommet de la série du point de vue de l'onirisme graphique, notamment grâce aux BD auxquelles rêvent Treehorn.

 

  Selon les éditeurs, aux Etats-Unis, Treehorn  est un livre qui "se lit et se relit à tout âge". N'ayez donc pas trop peur de régresser en lisant cette petite merveille.   

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11 janvier 2011 2 11 /01 /janvier /2011 22:34

http://ecx.images-amazon.com/images/I/31DYSQ3P48L._SL500_AA300_.jpg 

Dans l'histoire officielle des lettres françaises, telle qu'on peut l'enseigner à l'école, c'est à Boris Vian que revient l'honneur d'avoir réuni le surréalisme avec un genre  que ce dernier abhorre, le roman. En réalité,   René Crevel avait déjà commis ce sacrilége en 1935 avec Êtes-vous fous ?, et ce dans un esprit peut-être plus ouvertement proche du mouvement. Aujourd'hui, le roman est édité par la collection L'imaginaire de Gallimard, véritable mine de textes inclassables qui serait oubliés sans elle.

 

  Résumer le roman n'est pas, on s'en doute, chose facile. Disons que le personnage principal va consulter une voyante à qui il devra pour tout le reste du roman son nom, évidemment plein de sens : "Vagualâme". D'elle, Vagualâme apprend qu'il est destiné à épouser une rousse qui lui donnera un enfant bleu destiné à mourrir dés la naissance, suivi dans la tombes de nombreux fréres et soeurs multicolores. Il doit aussi connaître la sulfureuse demie-mondaine Yolande, dont la fréquentation n'améne rien de bon, pour ne pas dire qu'elle sent pour Vagualâme le début de la fin. Car il est dit que par ses débauches la Ville doit l'enterrer, celle qu'on surnomme la "grande pétrifiée" (mais jamais nommée Paris).

  Cette dernière prophétie semble en fait se réaliser avant toutes les autres, quand Vagualâme est atteint de mal pulmonaire  qu'il doit partir soigner dans un sanatorium Suisse. Dés lors, le lecteur doute probablement à juste titre de la réalité de tout ce qui va suivre : notre malade rencontre Dieu sait comment Yolande, qui se révèle être une morte-vivante vivant aux milieus de ses trois phénomènes, dont le fakir qui la maintient en vie. Fusillée pour espionnage mais ressuscitée, elle peut se vanter d'une vie bien remplie et ce depuis l'enfance.

  De plus grande surprises attendent encore le "héros", notamment quand il s'agit de rencontrer sa promise rousse, nièce de Yolande, joliment nommée Dame de la Mer. La rencontre sera assez différente de ce que disait la prophétie, dans cette Berlin devenue la capitale des chirurgies les plus étranges ainsi  que de toutes les perversions (En 1935, Crevel semble s'accrocher naïvement à une image liberée et subversive de l'Allemagne, figure de proue de l'avant-garde européenne, alliée potentielle de la révolution surréaliste. Si c'est un pari sur l'avenir, c'est un peu ballot).

  Voilà la trame du roman à peu prés donnée, en faisant l'impasse sur les intrigues secondaires qui viennent la compliquer, comme celle tournant autour de cette Suisse fantaisiste où le goître est le signe de respectabilité bourgeoise. Inutile de dire qu'il ne faut pas y chercher une intrigue béton. En revanche, ce qui fait tenir cette étrange oeuvre, c'est son style, pour ne pas dire son exercice de style, trés difficile à définir et à analyser, mais distillant une folie continue tout le long du roman. Running gag, certains passages en deviennt à la limite du lisible (surtout, selon mon impression, les premières pages, ce statut lui-même ayant sans doute joué dans ma lecture) mais heureusement cela s'améliore vite, et certains passages sont de toutes beauté : ainsi le début de la maladie de Vagualâme, présenté sous forme d'une allégorie complexe,  est l'un des plus beaux passages du roman. Et la fin vous laisse sur le carreau après un épilogue qui se change en manifeste de cette folie furieuse qu'était la révolution surréaliste.  

 

  Une oeuvre exigente, pas précisement une lecture de plage ou même de métro, mais qui récompensera les lecteurs qui s'accrocheront.

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2 janvier 2011 7 02 /01 /janvier /2011 20:48

http://jacbayle.club.fr/images/imFemmes/Cournut.jpg  

L'Ecorcobaliseur de Berengére Cournut et un OLNI de belle facture publié par les éditions Attila, déjà responsables des Jardins statuaires et des Mers perdues dont j'ai pu parler à l'occasion de mon article sur  Le Cycle des contrées de Jacques Abeille .

 

 

  L'écorcobaliseur, mot inspiré d'un poéme d'Henri Michaux reproduit en première page, est le nom, bien étrange certes, d'un personnage. Dans la petite île bien-pensante de Menfrez, ce personnage malfamé disparait en emportant la tête coupée de son frère aîné. Leur soeur cadette, l'isandreline,  héroïne du roman dont elle est d'ailleurs la narratrice un chapitre sur deux (l'autre est curieusement raconté à la troisième personne), et qui sait bien que le frére aîné, l'anicétonque, est vivant, part à la recherche de ses deux fréres. Il importe que la fratrie se reconstitue, car leur relation fusionnelle est celle d'un univers à eux seuls. D'ailleurs, l'écorcobaliseur est incapable de penser sans son frère et sa soeur.

  Pour cette quête, l'isandreline est pleine de ressource, car elle et sa fratrie sont de prodigieux inventeurs de machines  étranges. A travers cet univers insituable mais essentiellement maritime, son voyage la ménera  sur l'île de La-Mer, où vivent au côté des pêcheurs des Bédouins amenés avec leurs dunes par une tempête de sable. Elle connaîtra également  un petit voyage à travers le corps d'un marin où elle entendra le récit confié par son père disparu, puis retournera pour un plus grand voyage vers La-Mer, en compagnie de son père adoptif qui emmène avec lui le cercueil de son épouse.

  Bref, c'est ouvertement surréaliste, d'un surréalisme particulier, qui peut être d'un burlesque rafraichissant comme cela est un peu devenu le tout-venant des héritiers bâtards du mouvement, mais aussi se rapprocher d'une forme plus originale, celle de Michaux avec laquelle la parenté est établie dés la première page déjà évoquée : mêmes images un peu trash, souvent organiques, et même fabuleuses spéculations pseudo-scientifiques, qui pour parodier la science-fiction n'en restent pas moins trés cohérentes dans leurs raisonnements absurdes.

  Pour renforcer ce haut patronage, vient le doubler celui du peintre surréaliste Victo Brauner, dont quatre tableaux viennent ouvvir les quatre parties du romna et ainsi témoigner du grand soin qu'apportent les éditions Attila à la confection de leurs ouvrages (à cet égard la revue de presse fantaisiste à l'intérieur de la couverture est plutôt amusante).

 

  L'Ecorcobaliseur montre donc que le grand arbre généalogique du surréalisme peut encore réserver des surprises jusqu'à l'heure actuelle.

 

  Pour clore cette chronique, selon mon habitude de l'URLite  aigue, je renvoie à l'article qui m'a fait découvrir ce fabuleux OLNI, sur un site que j'ai déjà eu l'occasion  d'évoquer : link 

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30 décembre 2010 4 30 /12 /décembre /2010 22:57

http://www.cinemovies.fr/images/data/affiches/Gaff230508663.jpg 

Après avoir revu   The Limits of control de Jim Jarmusch , j'ai décidé  de m'attaquer à un film peut-être plus représentatif  d'une des figures les plus atypiques du cinéma américain.

 

  Ghost Dog, héros du film éponyme, excellement interprété par Forrest Whitaker, est un tueur à gage aussi efficace que peu commun. Il vit en  effet dans une cabanes sur les toits et ne communique que par...pigeons voyageurs. Issu des quartiers pauvres, il ne semble être devenu tueur que pour accomplir sa dette envers le mafiosi qui lui a sauvé la vie, et dont il se considére comme le vassal. Car Ghost dog suit les préceptes des Samouraïs, dont les extraits du code sont récités tout le long du film, jamais gratuitement mais au contraire suivant habilement l'à-propos de l'intrigue.

  Mais à la suite d'une bavure (la fille du parrain assiste de manière imprévue au dernier boulot) Ghost dog devient indésirable pour la mafia.

  Avec Jarmusch, on peut s'attendre à une vision peu orthodoxe du film de mafia. On n'est bien sûr pas déçu, Ghost Dog  ressemblant à une parodie de mafia film : ici les mafieux sont des bras cassé, dont les missions foireuses sont l'occasion d'un humour volontier noir, et sont surtout vieillissant. On peut même parler d'une espéce en voie de disparition: la seule relève générationnelle est la fille du parrain qui s'avére complétement folle, et la passion cocasse autant que généralisée pour les dessins animés est tout ce que les gangsters ont trouvé comme seconde jeunesse. Bref, ce sont des dinosaures, au même titre que le Samouraï des temps modernes qu'ils pourchassent, le charisme en moins. Pour aller toujours plus loin dans son langage filmique poétique, Jarmusch les comparera même...à l'ours, que Ghost Dog, qui n'aime pas faire les choses à moitité quand il s'agit de ses idéaux, venge en abattant deux chasseurs.

  Si ces bras cassé mafieux offrent au spectateur son lot de personnages haut en couleur, ils n'en sont  pas la seule source : ainsi certains des passages les plus lumineux et poétiques du film concerne le meilleur ami de Ghost Dog (pour ainsi dire le seul avec la petite Pearline) un vendeur de glace avec lequel la compréhension est plus que difficile vu qu'il ne parle que yoruba. L'occasion de ravissants dialogues de sourds où les deux interlocuteurs sortent les même propos sans le savoir. L'un de ces dialogues concerne d'ailleurs une image déjà trés poétique, un bateau construit de manière insolite sur les toits, car Ghost Dog n'est pas seul sur les toits dont Jarmusch fait un véritable univers. Je pourais citer d'autres images à la poésies lumineuses, comme la scène du pistolet à la fin. Mais je vais m'arrêter là, sinon autant raconter tout le film.

  Ah, et puis n'oublions pas la BO,  trés importante comme toujours chez Jarmusch, un hommage au hip hop dont certains moments du film sont quasiment des clips (ce qui n'est pas totalement gratuit car renvoyant à la culture afro-américaine de laquelle l'identité de Ghost Dog est au moins autant issue que du code Samouraï) .

 

  Plus convaincant que Dead man, moins déconcertant que The Limits of control, assurément du grand Jarmusch, qui révéle enfin idéalement le talent de poéte du cinéaste.           

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