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3 janvier 2021 7 03 /01 /janvier /2021 09:29

 

 

  Un très hypothétique lecteur qui suivrait ce blog navrant depuis le début ne manquerait de reconnaître dans ce titre une référence à l'article Kalev au pays des Requins-marteaux. Il s'agit une nouvelle fois de l'exploration du catalogue d'un éditeur, tout aussi ovniesque.

 

  Je vous ai longtemps gonflé avec ma passion du surréalisme, mais je suis navré de vous apprendre que ce n'est que le début : je commence seulement, depuis trois ans environ, à découvrir les classiques de ce mouvement que je connaissais finalement mal, en même temps  que je comble laborieusement mes lacunes en poésie (au point quand même d'avoir pas mal délaissé le roman pour elle ces dernières années).

  Les éditions Prairial offre la came idéale pour ce vice. Tirant son nom du mois du calendrier révolutionnaire et de tout l'irréalisme qu'il contient, mais aussi des authentiques révoltes populaires qui ont eu lieu ce mois-là, la maison d'édition se veut "celle des délirants, des révoltés et des prophètes". C'est écrit sur leur site, auquel je vous renvoie si vous voulez feuilleter les livres chroniqués céans qui seront essentiellement graphiques (et d'autres livres, bien entendu), et ainsi en apprécier l'esprit qui va de la folie douce à la folie furieuse.

 

 

On commence avec l'auteur par lequel  j'ai découvert l'éditeur : Max Ernst et ses fameux romans-collages que les éditions Prairial ont certainement l'intention de rééditer tous les trois, puisqu'au plus connu, La Femme 100 têtes, a succédé, dans l'ordre de parution originale celui au contraire le plus oublié, Le Rêve d'une petite fille qui voulait entrer au carmel.

  Ah, avoir une édition française de La Femme 100 têtes, enfin ! Je pensais que ce bonheur resterait fugitif et limité à quelques collages montrés à l'exposition Hypnos qui eut lieu en 2009 au Musée de l'Hospice Comtesse de Lille. Tout ce que j'avais trouvé alors comme édition était allemand, même s'il s'agit d'un objet peu commun : édité par le comité d'entreprise de chez Phillips, on dirait le cliché du livre issu du génie industriel germanique, et qui semble fabriqué spécialement pour résister à une guerre nucléaire. Ce qui ne joue pas en la faveur des livres fragiles  qui sont le moindre défaut des éditions Prairial. Qu'importe, j'ai maintenant les légendes de ce classique dans ma langue maternelle, et ça ajoute beaucoup de chose. Ne pas comprendre les textes serait encore plus dommageable pour le moins connu Rêve d'une petite fille qui voulait entrer au carmel, qui est moins décousu que le précédent, réellement organisé autour d'un fil rouge. En  effet, Ernst compose ces textes un peu à la manière de ses collages devenus célèbres par leur utilisation exclusive de gravures en noir et blanc, issues généralement de romans populaires. Ici, le texte est aussi basé sur des réécritures croisés de romans populaires, probablement selon la méthode de réécritures successives expérimentée par Breton et Eluard  dans L'Immaculée Conception, d'après Lautréamont, pour pallier à la fatigue de l'écriture automatique. Ernst mélange donc deux romans populaires dont l'un est une authentique bondieuserie, une vie de Thérèse de Lisieux, ce qui est le prétexte pour montrer cet humour noir blasphématoire cher aux surréalistes. De quoi rappeler qu'il existe une vie au blasphème en dehors (je n'ose dit après) de Charlie Hebdo, parce que j'ai rien contre la vulgarité, bien au contraire (sachant que je refuse de soumettre mon jugement à tout culte étatique des martyrs, merci), mais entre certaines beauferies charliesques des années 2000 et une phrase du genre "Toutes mes joies ont un alibi et mon corps se couvre de cent fissures profondes", ben vous excuserez le snobisme qui me pousse à si vite choisir.

  Trêve de provoc', même si le livre est pousse-au-crime : ces remarquables rééditions devraient logiquement être suivies de celles du dernier tome de la trilogie (j'ai l'impression de vendre de la fantasy), Une Semaine de bonté, que je ne peux que recommander chaudement pour l'avoir admiré (plutôt que lu, car les textes sont cette fois réduit à la portion congrue des titre de chapitre et des citations qui les accompagnent) dans une précédente édition bilingue anglo-saxonne.

 

  On reste dans le roman-collage avec une des grosses surprises dont l'éditeur a le secret :  le roman-collage existait presque 20 avant Max Ersnt, et avant même l'explosion du mouvement dada ! En  effet, en 1911, au Royaume-Uni, les mystérieux E.V.L. et G.M., identifiés depuis à Edward Verrall Lucas et Georges Morrow, collaborateurs de magazine satirique Punch, sortait l'album Quelle Vie !, reconnu dés 1930 par Raymond Queneau, dans un texte choisi en préface par Prairial, comme "la première manifestations de l'esprit moderne". 

  Quelle Vie ! raconte à la première personne la vie d'un lord anglais, de la naissance à la pairie, sous forme d'images commentées issues...d'un catalogue de vente par correspondance ! Si ce genre de procédé a trouvé nombre d'imitateur, on imagine sans peine l'effet comique qu'il devait avoir en 1911. La drôlerie en est encore irrésistible aujourd'hui, en plus de se montrer visionnaire. Ainsi, si certains collages se résument à des images commentées, ce qui est déjà du plus haut comique, les auteurs testent déjà l'assemblage d'image, à un date considérées comme celle de l'invention du collage par Braque et Picasso (sinon on peut aussi parler des "femmages" sorte de collages d'Art Brut attribués à des femmes au foyer et bien antérieur à toutes ces expérimentations, comme quoi les avant-gardes ne sortent jamais de nulle part, et c'est ce qui fait leur beauté).

  On se prendrait à rêver d'une suite à ce premier roman-collage de l'histoire, qui reprendrait le matériel d'un catalogue contemporain (sachant que le matériau de Quelle Vie ! devait sembler tout aussi vulgaire au bon gout de l'époque, c'est sûr que c'est pas les belles gravures de Marx Ernst...qui étaient peut-être très mal jugées elles aussi en leur temps, associées aux littératures de gare).

 

 

  Puisqu'on est dans les précurseurs du surréalisme, autant les chercher où on les a déjà trouvé : dans l'époque romantique. Clef des songes est la plus longue série de gravures (plus de cent) de l'artiste Michel Delaporte, qui pourrait presque faire figure d'artiste maudit si je n'était gêné avec ce mythe : une cécité a en effet obligé ce graveur de talent à cesser la gravure et à se concentrer exclusivement à la plus mauvaise partie de son œuvre, l'écriture de vaudeville dont l'auteur de la post-face de l'édition reconnait lui-même n'avoir lu aucun jusqu'au bout.

  Si Clef des songes est considéré comme surréaliste avant l'heure, comme Granville et Victor Hugo, ce n'est pas forcément par le thème du rêve. Celui-ci me parait bien illustrer le conflit exprimé par Breton entre l'interprétation mystique des rêves comme messages prémonitoires  (parce que c'est bien de cela qu'il s'agit, comme le titre le laisse deviner), et les "rêves vains" (vous savez, ceux que sont censés retenir les dreamcatcher en plastoc vendus dans les boutiques d'ésotérisme neuneu) qui deviendront le fer de lance de l'onirisme surréaliste et dont je me sens le plus proche. Parce qu'après que les surréalistes m'aient définitivement convaincus de l'intérêt poétique de mes plus invraisemblables rêves, notamment d'enfance et d'adolescence, je serais tenté de dire, que, euh, vous m'excuserez de vous demande pardon mais Delaporte, il a l'air de faire des rêves aussi nuls que ceux des scénaristes d'Inception.

  Trêve de troll, l'intérêt n'est pas dans les scènes de ces rêves, pas plus que l'esprit pré-surréaliste. Non seulement ces gravures, sur le plan le plus sérieux, se montre d'une beauté étrange et troublante, avec leurs personnages en ombres chinoises, selon l'art de la silhouette alors à la mode, dans des décors fantomatiques et curieusement composés, mais Delaporte s'amuse visiblement avec les thèmes ésotérique à la mode, comme le laisse deviner le frontispice ronflant "Clé des songes, suivant les écrits de Cagliostro, du Grand Albert et des Bohémiens les plus accrédités". Les interprétations (qui tiennent, comme les description des rêves, en phrases extrêmement courtes) suivent néanmoins une certaine tradition : tantôt le rêve est à interpréter littéralement, tantôt il signifie son contraire. Or certaines interprétations sortent de nulle part et annonce déjà les plus grands éclats de rire surréalistes, comme le déjà culte "battre son mari : amitié sincère"...sachant que le prosaïsme d'autre interprétations peut être lui aussi très drôle, sans doute d'autant plus par contraste.

 

 

  Maintenant, après avoir recherché le surréalisme en amont, redescendons vers l'aval et vers une autre période d'explosion de créativité artistique, celle de la contre-culture des années 60, avec The Game de Guy Pellaert, recueils de quatre nouvelles graphiques parues dans Hara-Kiri entre 1968 et 1970.

  A contrario de ma pique gratuite et de mauvaise foi (bête et méchante, effectivement) sur le Charlie moderne plus haut dans cet article, j'ai dis énormément de bêtises sur Hara-Kiri , dont je suis aussi ignorant que le Charlie moyen, sur ce blog, notamment à propos de Fred et de Delfeil de Ton, où c'est limite si je ne faisais pas passer le journal pour un repère de poètes. La citation de Cavanna au début de la préface de The Game vient rappeler à bon escient que ce journal aujourd'hui admiré des intellectuels et des artistes en était haï unanimement à l'époque pour son mauvais goût et sa vulgarité.

  Ce qui ne m'empêche pas d'insister un peu sur le grand intérêt artistique, ou anti-artistique si vous voulez, du journal, et j'en veux pour preuve la même préface : si elle n'explique pas pourquoi, fait que j'ignorais, Topor a très vite quitté l'aventure, en revanche Guy Pellaert quitte Hara Kiri après la fameuse affaire de censure gaulliste et le succès qu'il apporte, car dit-il, les dessinateurs y sont devenus de simples commentateurs politiques, quand auparavant "la dérision allait beaucoup plus loin".

  Comment décrire le style de l'artiste belge qui a fait exploser la bande dessinée ? Je me sens obligé de me raccrocher à ce que je connais, et à y voir une version plus radicale du style de son confrère du même journal, mon idole Fred, pas seulement dans les couleurs psychédéliques (qui arrachent beaucoup plus les yeux chez Pellaert) et le procédé très dada / surréaliste et surtout très drôle de l'insertion d'image (vieilles gravures chez Fred, ce qui fait très ernstien, photomontages chez Pellaert, dont on peut regretter l'abandon dans les deux dernières nouvelles de l'album), mais aussi dans l'apparence de certains personnages. Mais le comparaison trouve vite ses limites. Plus radical, disais-je : Pellaert plaque sur le papier la saturation d'images de notre société, dont on se rend bien compte qu'elle n'a pas attendu Internet, sature vos sens et vous retourne le cerveau sans vous laisser un instant pour respirer. Peut-être la meilleure réalisation du vieux rêve psychédélique (qui était au moins, pour ce que j'en sais, celui de certains adeptes de la techno des 90's), du trip de drogue sans prendre de drogue.

  Ceux qui connaissent le conteur Fred et la plus grande profondeur de ses histoires et de ses univers, que j'avoue frileusement préférer, pourraient certes voir dans les nouvelles graphiques de Pellaert, œuvres difficiles, d'accès s'il en est, un numéro de prestidigitateur, mais je défie quiconque de les lire sans être plongé dans la sidération par cette œuvre radicale.  

 

  Jusqu'ici, j'ai parlé de folie douce et de folie furieuse, mais chez des auteurs qui simulait la folie dans la fiction. Il est temps de parler d'un authentique "fou littéraire", selon l'expression consacrée : Jean-Pierre Brisset, autre figure admirée des surréalistes (il figure en bonne place dans L'Anthologie de l'humour noir de Breton), du Collège de Pataphysique qui en a fait un Saint de son calendrier, ainsi que de Michel Foucault dont un article sert de préface à l'édition Prairial de La Grande Nouvelle

  Brisset, ancien soldat de la guerre franco-prussienne dont le traumatisme laissera des traces dans le texte dont il est question (je ne parle pas d'une cause supposée de la folie de l'auteur), devenu chef de gare, auteur de nombreux livres sur ses deux passions, la natation et la linguistique (il parle couramment français, allemand et italien), reçoit dans les années 1880 une révélation divine, qu'il expliquera dans une abondance production publiée à compte d'auteur, et que La Grande Nouvelle synthétise en une centaine de pages.

  Écoutez donc, mécréants : sachez que l'Homme descend non du singe mais de la grenouille (bon, il est exact d'un point de vue évolutionnistes qu'il descend d'amphibiens, mais là il descend directement de la grenouille), ce que prouve l'étude des langues françaises, allemandes et italiennes, car le latin, cette langue que la culture  du XIXe siècle croit capitale, n'est qu'un argot et toute les langues sont en réalité inchangées depuis la création du monde.

  S'ensuive des démonstrations linguistiques aussi délirante que sans faille du point de vue de la cohérence interne, basé sur les homophonies des trois langues susmentionnées, même si surtout du français, alternant avec des passages d'une théologie chrétienne passablement hérétique, confrontant la Bible à la "fable" gréco-romaine, et prêchant une religion limite, euh, anarchisante, puisque toute autorité étatique et religieuse, l'Empire et l’Église, héritiers respectifs de Titan et de Saturne, sont d'essence satanique, et que par conséquent il est hérétique de s'y plier. On notera néanmoins que Brisset, pour un illuminé, ne perd néanmoins pas le nord dans sa conclusion ou il fait délibérément la publicité de ses ouvrages en indiquant même le prix, ce qui procure une chute très drôle à cette fascinante mythologie personnelle, dignes des plus grands artistes d'Art Brut.

 

 

  Maintenant, il est temps de revenir aux choses sérieuses. On aurait tort de réduire les éditions Prairial à la publication d’œuvre surréalistes oiseuses. Elles savent aussi donner dans un vrai journalisme d'investigation qui, comme le dit l'édito de leur revue Des faits, est la seule solution face à la prolifération des fake news. Le credo de la revue est : des faits, rien que des faits. Et c'est ainsi que vous aurez connaissances des vérités qui dérangent, comme les activités de barbouzes de Jean-Vincent Placé et Benalla pour le rapprochement de la France et de la Corée du Nord, le lien de l'agent double Sergueï Skripal avec la Terre Creuse, la vraie origine du mot "bravitude" employé par Ségolène Royal ou encore le scandale des électro-sensibles torturés au centre de la Terre pour des expériences sur le champs magnétique terrestre.

  On l'aura compris, la revue Des faits n'est autre qu'une sorte de Gorafi papier. Mais le fait de présenter une vraie revue payante permet de donner toute l'ampleur dont est capable ce genre de site parodiques très à la mode depuis le début de la décennie écoulée. Et les auteurs de la revue montrent ce dont le complotiste moyen est dépourvu : une immense culture, et de l'humour. Non seulement ils maîtrisent les codes du jargon journalistique, mais ils montent une érudition et une maîtrise impressionnante pour tout ce qui touche à la culture populaire, tout en restant résolument ancré dans l'actualité (par ailleurs dans une ambiance très franco-française qui fait penser à la rencontre improbable d'X-Files ou d'Indiana Jones avec OSS 117), ce qui fait espérer avec impatience un numéro post-covid, étant donné que les deux précédents datent déjà de 2018 et 2019.

  Surtout, les articles de Des faits valent par leur jusqu'au-boutisme dans l'art de faire "avaler des couleuvres", de défendre de idées délirantes de façon extrêmement étayée et argumentée (même si l'absence de photos au profit de dessins, c'est louche...nous sachons !). A ce titre, les plus délirantes se trouveront surtout dans le premier numéro, et ne trouveront pas d'équivalents dans le second. Ainsi du "Daesh maoïste aux portes du Pérou " annoncé en couverture, qui délire sur la conversion des indiens d'Amazonie, ainsi de l'enquête d'un anthropologue sur les rites chamaniques d'une tribu de chiffonniers de la décharge de La Crau, ainsi de l'interview de la troublante meneuse d'une mouvance post-anarchiste sud-américaine qui utilise le sexe comme arme terroriste, ou encore de l'hilarante origine du mot bravitude, mentionnée plus haut. Le second numéro, en revanche, reste davantage dans les topos de l'imaginaire complotiste et de la science-fiction "hétéroclite" pour reprendre le mot de Pierre Versins, même si c'est avec le même jusqu'au-boutisme (les dessins d'enfants qui se révèlent d'authentiques manuscrits de la civilisation perdue du Gondwana...), comme si les auteurs avaient voulus gagner en crédibilité...ce qui prête à rêver au plaisir qu'on aurait de les entendre cités sérieusement sur un plateau télé par un(e) émule de Christine Boutin.

  Malgré cette perspective amusante qui ne serait après tout l'objet que d'un vulgaire "buzz", un autre élément, avec l'érudition et le jusqu'au-boutisme, empêche de considérer ces canulars comme une vulgaire pantalonnade : l'humour en est le plus souvent grinçant, pointant sous le délire pseudo-conspi les peurs et les névroses de la société, dans un esprit crypto-gauchiste de bon aloi. C'est ainsi que le rire s'étrangle un peu, par exemple , dans un article du premier numéro sur le vandalisme organisé des bars, qui pointe encore une fois une vérité qui dérange, encore plus que les liens pourtant avérés entre 5G, Covid et Petits Gris atlanto-reptiliens :  la gentrification des quartiers populaires.

  Une référence incontournable pour faire vos propres recherches, bande de moutons !

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2 janvier 2021 6 02 /01 /janvier /2021 10:07

 

 

   Ce billet de nouvelle année répond à l'actualité littéraire essèfe. La fin de cette fameuse année 2020 a en effet vu une publication sensationnelle, la réédition aux éditions Callidor de Soroé, reine des Atlantes de Charles Lomon et Pierre-Barthelemy Gheusi, improbable précurseur de la fantasy épique dans la France des années 1900, dont on se demande comment il a pu être oublié pendant plus d'un siècle. Avant de chroniquer ce monstre et le classique de Pierre Benoît lu dans la foulée, tous deux entre deux réveillons, je vais remonter quelques mois en arrière avec une lecture de cet été sur le thème, sinon de l'Atlantide, du moins des civilisations disparues. Après tout, le thème de la fin du monde est à la mode en ce moment, je ne sais vraiment pas pourquoi, et il est curieux de se rappeler qu'il a existé une longue tradition science-fictive consistant à la situer dans le passé.

 

  Le premier roman, c'est La Sphère d'or du l'australien Erle Cox. Je m'y suis intéressé immédiatement à cause des circonstances de sa découverte : j'enquêtai en effet, sans plus avoir pourquoi, sur un roman qui a contribué à fonder mon éducation essèfe à l'adolescence : La Nuit des Temps de Barjavel, que je tiens, comme son auteur en général (qui a certes commis énormément de bouses, foi d'ancien fan qui  a quasiment tout lu ado) comme un roman à la fois surestimé  par la critique mainstream et sous-estimé par la critique SFFF (dont je me sens pourtant plus proche).  Et voilà qu'apprendre que ce roman de 1968 est soupçonné, sur de très solides preuves auxquelles je ne peux qu’acquiescer après lecture de l'original, d'être un plagiat de ce roman australien pré-publié en revue en 1919 et publié en volume en 1925, loin de me dégoûter de ce classique de mon adolescence, a eu l'effet curieux de faire remonter ce dernier dans mon estime. En  effet, j'avais discuté quelques semaines auparavant, pour la co-organisation d'un ciné-club, avec un ami cinéphile qui me disait aimer les remakes américains contemporains qui sont normalement contre ma religion, car le remake  est un "exercice de style". J'ai ainsi pu vérifier que le plagiat littéraire est également un exercice de style, et sans même avoir besoin de sortir de mes cartons le roman de Barjavel, la mémoire m'en est assez fraîche pour apprécier le travail d'adaptation. Je vais néanmoins essayer de limiter au minimum la comparaison.

 

  Un ancien étudiant en droit devenu fermier, Alan Dundas, improbable personnage de surhomme, découvre dans son champs, en bordure du désert australien, une sphère d'un métal indestructible  dérivé de l'or (premier point de parenté évidente), qu'il déterre à la seule force de ses bras, qu'il ouvre et dont il déjoue les pièges seuls...pas besoin d'immense expédition internationale antarctique pour un tel homme ! Et la sphère d'or contient les trésors scientifiques et artistiques d'une civilisation disparue, et au milieu, endormie, une femme qui subjugue Alan par sa beauté, Hiéranie (Erani en VO), qu'il réveille avec l'aide de son ami médecin qu'il est obligé de mettre dans le secret, le Dr Barny. Tous deux apprendront, par cette dernière survivante d'une race humaine supérieure anéantie par un cataclysme naturel des millions d'années auparavant (le prologue retranché de l'édition en volume, mais placé à la fin de mon édition numérique, et qui avait la bonne idée de commencer le roman dans ces temps lointains, avancera le chiffre de 27 millions d'années) l'existence d'une autre sphère désormais enfouie sous l'Himalaya et abritant le dernier survivant masculin, Andax. Autre point commun très fort avec Barjavel dans ce roman lui aussi très sentimental (la page Wikipédouille française parle de "roman de science-fiction et d'amour"), il n'y a pas d'amour entre les deux survivants, en revanche celui qui habite Hiéranie n'est pas pour un homme disparu dans la la nuit des temps, mais bien pour le très présent Alan Dundas. 

 

  Ici le roman reprend une trame qui est au cœur des roman de "mondes perdus" de l'époque, comme Elle de Henry Ridder Haggard que je n'ai pas lu, mais dont je connais l'héritage à travers les romans d'Abraham Merritt et le roman dont il va être question incessamment sous peu, Soroé, reine des Atlantes : le triangle amoureux opposant, autour du héros, une femme fatale et une femme plus soumise qui finira par gagner. Ce schéma typique de l'époque donne au romans à la fois ses défauts et ses qualités, ces dernières résidant surtout dans l'aspect visionnaire de l’œuvre.

 

  Les défauts ne tiennent pas seulement à la façon dont se conclut cette triangulaire et, on peut le dire, sauve le monde, et qui fait preuve d'une misogynie que j'ai trouvé tout à fait navrante même en me plaçant dans les standards de l'époque, d'autant que le rôle de veilleur vigilant du Dr Barny aurait tout à fait permis une autre fin. Le roman dans son ensemble, très daté, malgré, paradoxalement, l'aspect visionnaire dont je reparlerais, ne va pas sans lourdeur, et surtout sans longueurs, comptant beaucoup trop de scènes de remplissage. L'auteur semble hésiter entre la fresque de science-fiction / mondes perdus et le roman de moeurs, et son ancrage dans la réalité terne d'une bourgade australienne décevra les lecteurs modernes de science-fiction, blasés par le sense of wonder. Le roman souffre certes de la comparaison avec celui plus spectaculaire, enlevé et drôlatique de son imitateur Barjavel, mais cette comparaison est rendue d'autant plus inévitable par la promesse d'un autre roman que donne l'ancien prologue placé à la fin, et dont je ne m'explique pas le retranchement, à part par une frilosité éditoriale devant un procédé très moderne. En dehors de ce passage (et encore l'exotisme aurait-il pu être plus poussé), la civilisation disparue ne revit pas réellement, malgré les récits de Hiéranie et la beauté chatoyante du tombeau (qui m'a intéressé par son aspect très d'époque, avec notamment l'importance des Beaux-Arts, qui m'a là aussi rappelé Merritt).

 

  Néanmoins, ce thème de la femme fatale représentant le pouvoir d'une civilisation antique, offre au roman le caractère visionnaire dont je parlais plus haut. Hiéranie n'est pas "gentille" comme Eléa chez Barjavel : elle est plus proche des tyrans  de Merritt et donc semble-t'il de l'Ayesha de Haggard. Et le caractère visionnaire que met en avant la critique est celui de l'extermination raciale mené par le peuple blanc de Hiéranie. Cette préfiguration est d'autant plus intéressante qu'une certaine ambiguïté dans le propos empêche de considérer le roman comme réellement anti-raciste ni même anti-colonialiste (le vigilant Dr Barny, au sommet de son horreur, dira que "la fin ne justifie pas les moyens"). A mes yeux, le côté visionnaire du roman va au-delà de la question du génocide : il est évident que l'auteur a saisi son époque et profité, en connaissances de cause ou bien parce que ces idées étaient "dans l'air", de l'émergence de la dystopie dont on sait aujourd'hui qu'elle est bien antérieure à Zamiatine (on m'a parlé, si je me souviens bien, d'un roman russe de la fin du XIXe siècle...). Avant même l'arrivée au pouvoir de Staline et de Mussolini (pour la pré-publication), l'auteur dépeint la dictature technocratique et eugéniste du futur, très loin du stéréotype de la tyrannie médiévale et obscurantiste du roman de monde perdu du genre Merritt ou peut-être Haggard. Rien que pour ça, le roman mérite le coup d'oeil. 

 

  Il est temps d'aborder le plat de résistance de cette chronique : Soroé, reine des Atlantes de Charles Lomon et Pierre-Barthélémy Gheusi, qui a fait du bruit dans le le microcosme SFFF. Pensez donc : redécouvrir  un roman oublié pendant un siècle, et qui fait de deux français, dés les années 1900, comme le dit le postfacier Brian Stableford (passionnante postface qui m'a été très utile pour parler de La Sphère d'or, comme quoi ça valait le coup d'attendre 6 mois), les auteurs du premier roman de fantasy épique du XXe siècle, pont entre la fantasy britannique et la sword & sorcery américaine à la Conan...on crierait cocorico à moins, mais c'est indépendamment de toute question nationale que le roman se montre, non seulement visionnaire, mais d'une modernité insolente.

 

  Les deux auteurs, tous deux romanciers, dramaturges et librettistes d'opéra, ont manifestement profité d'une époque où genres littéraires et artistiques, cultures savantes et populaires étaient moins cloisonnés, ce dont a profité un Rosny-Aîné, et comme le signale  la postface de Stableford, ils ont profité de l'avant-gardisme en matière de roman populaire de La Nouvelle Revue ou le roman fut pré-publié et publié en volume, et qui appartenait à Gheusi. La modernité du roman qui s'appelait alors Les Atlantes est encore accentué par la découverte ébahie, par l'éditeur de chez Callidor, des manuscrits originaux amendé par Gheusi en 1941, quelques années après la mort de Lomon, un peu plus de 35 ans par la première publication, dans l'optique d'une mystérieuse réédition dont on ne retrouve pas la trace autre part que dans les souvenirs de la petite-fille et héritière du co-auteur, peut-être parce qu'elle fut confidentielle et non déposée. C'est de cette hypothétique réédition que vient le titre moderne du roman, Soroé, reine des Atlantes. De sorte que les éditions Callidor, dans leur remarquable travail d'archéologie littéraire que constitue la collection L'Âge d'or de la fantasy, ont fourni un remarquable travail éditorial, sans équivalent dans l'édition anglo-saxonne qui a pourtant lancé cette étonnante redécouverte sous l'impulsion de Black Coat Press, spécialistes de l'export de vieux merveilleux scientifique français à destination des State's. Travail remarquable sur le texte, et bel objet (de belles illustrations intérieures contemporaines par Valérian Rambaud côtoient celles, réunies dans la postface, de l'édition originale). Il est bienvenu d'avoir conservé en appendices la fin originale du roman (plus cynique, et donc plus "honnête" par rapport à l'ambiance apocalyptique qu'a comme il se doit roman atlantidien), et un chapitre retranché d'une façon un peu plus dommageable, parce qu'il renforce la modernité façon sword & sorcery, mais la construction narrative gagne encore un peu en avant-gardisme.

 

  En revanche, l'éditeur n'a pas jugé bon de conserver le principal retrait dans les retouches de Gheusi : le prologue qui mettait en abyme cette geste atlante d'une façon peu convaincante (comme le souligne Stableford, le roman n'est guère crédible comme manuscrit découvert à l'époque contemporaine dans une tombe préhistorique scandinave, et il est vrai que ça me le semble moins, de lointaine mémoire, que le manuscrit d'un autre roman atlantidien plus science-fictif, La Fin d'Illa de Moselli). De sorte qu'un roman de monde perdu devient un pur roman de fantasy, que le lecteur est directement plongé loin de sa zone de confort, dans un monde barbare. On y rencontre des guerriers nordiques qui semblent issus de la rencontre de la tétralogie de Wagner avec La Guerre du feu de Rosny-Aîné, et qui s'embarquent à la suite de leur chef Argall et du frère nourricier de celui-ci, Maghée, né de l'esclave atlante Dahéla, pour chercher à accomplir des haut faits vers la patrie de cette dernière. Dans cette Atlantide qui n'a rien de grec (songeons qu'elle sera encore très hellénique pour Blake et Mortimer un demi-siècle plus tard), Argall et les siens se retrouverons à se battre pour rétablir les droits dynastiques de Soroé, prêtresse des anciens Dieux de Lumière, face à la reine Yerra et à son culte sanglant des idoles de l'Or et du Fer.

 

  La modernité frappe dans le style, très loin de la préciosité maladroite de beaucoup de romanciers populaires moins talentueux. Dans l'univers, bien sûr, qui en fait de précurseur de la sword & sorcery, semble déjà en être, plus de 20 ans avant Conan. Dans la construction de l'intrigue, comme je l'ai déjà dit. Dans la psychologie des personnages, où même dans le schéma du triangle amoureux précédemment évoqué, ceux-ci sont loin de se réduire à leurs archétypes, se sorte que c'est la "femme fatale" Yerra que j'ai très vite trouvé le personnage le plus intéressant. Dans la subtilité de la politique, qui pourrait interpeller tous les idolâtres de Games of Throne, et qui montre surtout le profond ancrage de cette fresque fantasy dans la France des années 1900 (signalons que Gheusi était cousin de Léon Gambetta)  : parallèlement aux jeux de pouvoir des puissants, la révolte prolétarienne, qui n'est certes pas présenté comme quelques chose de positif, dans une perspective révolutionnaire, mais comme une conséquence inévitable de l'égoïsme des puissants, est le reflets de la tourmente sociale que l'on a oublié derrière le mirage mythique de la "Belle Époque", et dont beaucoup d'auteurs steampunk contemporains feraient mieux de se rappeler. Bref, plus qu'une curiosité comme le précédent roman : une future référence incontournable de la fantasy, et pas que.

 

  Maintenant, il est temps de conclure par une œuvre moins moderne, encore que...Comme le mentionne Stableford dans la post-face de Soroé, il est très étrange que le roman très moderne de Lomon et Gheusi air sombré dans l'oubli et se soit vu détrôné par le sucés du beaucoup plus désuet L'Atlantide de Pierre Benoît, succès dont Gheusi lui-même semblait très amer. J'ai donc voulu juger sur pièce le classique de Pierre Benoît, ce qui était l'occasion d'enfin lire un livre qui, à l'instar de ceux dont de simples extraits en manuels de collège m'ont amené à lire 15 à 20 ans plus tard (j'en vois au moins un sur ce blog, en plus d'un auteur, et on pourrait rajouter deux romans que j'ai peut-être confondu, L'Enfant noir de Camara Laye et L'Enfant et la rivière d'Henri Bosco), ne peux que m'intriguer fortement depuis l'enfance, puisqu'il illustre systématiquement tout article de vulgarisation sur le mythe platonicien, dés qu'il est question de la littérature moderne. En outre, le roman m'était connu par sa première adaptation parlante par l'allemand Georg Wilhelm Pabst, dans sa version française avec des acteurs français (l'absence de technologie de doublage obligeant alors à tourner différentes versions pour l'export). Je connaissais donc l'intrigue, même si le film ne m'a pas laissé de souvenirs vraiment marquant, et ne m'a absolument pas préparé, trois ans et demi plus tard, à ceci : que le roman fonctionne sur moi et me tienne captif de ses charmes, comme le lieutenant de Saint-Avit de la belle reine Antinéa.

 

  Désuet, certes. La seule perspective de lire un roman fortement teinté de colonialisme par un auteur ouvertement réac' d'obédience maurassienne, suffirait déjà  à effaroucher un millennial gauchiasse comme moi, mais mes préjugés de pré-lecture étaient davantage esthétiques que politiques, influencé par un lourd passif qui ne joue pas du tout en faveur de l'auteur à mes yeux, celui de membre de l'Acâdémie Frânçaise.

 

  Désuet, sans aucun doute. Et pourtant, j'ai commencé par me laisser charmer par une plume qui n'était pas lourdement empesée comme je l'aurais crains, mais alerte et vivante. Par admirer l'impressionnante érudition de l'auteur, qui appuie un non moins admirable exercice de fiction réaliste, qui fait qu'il est tout à fait possible de croire, pour un lecteur de 1919 voire même un peu après, sans grand effort de suspension de l'incrédulité, à ce royaume sous le Sahara  devenu un mythe contemporain ajouté à celui de Platon. Et finalement, j'ai fini par prendre un coup au cœur devant la beauté douloureuse de ce mythe moderne. Encore une femme fatale, matriarche vengeresse dont les nombreux meurtres d'amants pourraient faire une figure de mante religieuse vulgaire et ridicule, et le roman flirte certes un peu avec ces erreurs quand, par exemple, il décompte le nombre de victimes. Mais il y a une profonde beauté, tout simplement, dans cette histoire d'amour fou, dans la façon dont, contrairement à l'usage des romans de mondes perdus, la femme fatale gagne toujours, dans son amour mortel auquel on ne peut échapper, même en réussissant  à s'évader et à mettre des centaines de kilomètres entre soi et son royaume, dans les griffes de laquelle  on reviendra toujours se jeter contre toute raison. Là où je m'attendais à une poésie gentillette, exotique et fleur bleue, bien dans les goûts d'une certaine petite-bourgeoisie française, je découvre une vraie fulgurance poétique. 

 

  Bien joué, M. Benoît.

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30 novembre 2020 1 30 /11 /novembre /2020 17:14

Cette rentrée littéraire légèrement perturbée est décidément une belle surprise pour moi, car j'ai appris le retour avec un nouveau livre de trois auteurs que j'admire. Jacques Abeille d'abord, dont je chroniquerais La Vie de l'explorateur perdu, tome conclusif du majestueux Cycle des Contrées, paru en même temps que la réédition augmentée des Carnets de l'explorateur perdu...quand j'aurais relu tout le cycle. Gilles Marchand ensuite, avec Requiem pour une Apache. Et celui dont il va être question ici, Les Secrets de l'auteur estonien Andrus Kivirahk, dont il n'y avait plus eu de nouvelles traductions depuis presque quatre ans.

De Kivirähk, j'avais donc lu les trois romans traduits par les soins des éditions du Tripode, L'Homme qui savait la langue des serpents, Les Groseilles de novembre et Le Papillon

Trois romans plutôt pour adultes donc. Et là, je me retrouve à lire un roman pour enfant de Kivirähk, ce genre de livres constituant une large part de son oeuvre. Ce qui ne me gêne absolument pas, car j'adore lire des livres pour enfants, plus à même, à mes yeux, de parler à un adulte, quand ils sont bien faits et pas neuneus, que les livres pour ados, en général très ciblés ados justement.

C'est une longue histoire, les livres pour nenfants et moi : après avoir vaguement essayé de grandir une bonne fois pour toute à l'approche des 16 ans, après une époque où me découvertes littéraires se faisaient dans un joyeux désordres (Roald Dahl et Pierre Gripari après Le Seigneur des Anneaux, Le Meilleur des Mondes et autres lecture déjà costaudes à 14 ans...comme quoi la segmentation des âges de l'édition jeunesse commerciale et des documentalistes vieux jeu, c'est de la foutaise), j'ai rechuté entre 21 et 22 ans, avant même de suivre un cours de littérature de jeunesse à la fac et de m'y prendre de passion pour Claude Ponti.

Là, le pitch, associé au souvenir enchantés de livres adultes de Kivirâhk, me vendait du rêve, et ça tombe bien puisqu'il est question de rêves :

 

"Dans la famille Jalakas, chacun emprunte un passage secret pour rejoindre son rêve en douce. Le petit Siim se glisse sous la table et atterrit au pays des merveilles. Sa grande sœur, Sirli, prend l’ascenseur et grimpe jusqu’au pays des nuages. La mère passe par une porte cachée qui mène à son château royal. Le père, quant à lui, sort par la porte arrière de sa voiture et déboule sur un stade gigantesque. En dehors de leur cachette, les membres de cette joyeuse famille mènent une vie tranquille. Mais il arrive que certains rêves prennent le pas sur la réalité, et alors plus rien ne tourne rond…"

 

Et puis...en voilà une curieuse expérience de lecture ! De prime abord, pendant une bonne partie de ce livre assez court, j'étais tenté de me dire : mais, c'est très cucul, non ? Ça l'est, assurément. La cucuterie ne m'a certes pas empêché, par exemple, de prendre plaisir à poursuivre l’œuvre pour enfant de Gripari à 28 ans, après avoir lu et aimé les Contes de ma Rue Broca très tardivement, à la moitié de cet âge. Mon esprit chagrin était quand même tenté de me dire : oui, mais Gripari, son humour ravageur, et ses belles trouvailles poétiques dont je ne trouve pas l'équivalent chez Kivirähk (même s'ils jouent sur le même ressort : magnifier la simplicité et la naïveté des histoires).

Bon, les deux prennent les enfants pour des neuneus, quand même, peut-être un peu, non ?

 

Sauf qu'en fait non. Enfin, pour Gripari, je ne sais pas (et ne crois pas, d'après mes souvenirs de lecteurs déjà bien conscients de certains clins d'oeil), mais pour pour ce qui est de Kivirähk, la réalité est tout autre

.

J'ai fini par réaliser, en laissant de côté mon rationalisme chagrin, ce que représentaient les invraisemblances énormissimes et évidement volontaires qui ponctuaient le récit : Kivirähk ne prend pas les enfants pour des neuneus, pour la simple et bonne raison qu'il n'est plus un adulte écrivant pour des enfants, mais un auteur épousant parfaitement la logique enfantine, au point qu'on a l'impression d'une histoire inventée, sinon écrite (le style est très simple, alors pourquoi pas, avec un talent précoce...), par des enfants. On me dirait même que l'histoire a été inventée entièrement par les enfants de Kivirähk que je n'en serais pas outre-mesure étonné.

Et ceci est très visible dans l'image des adultes dans l'histoire : plutôt qu'un point de vue de l'adulte sur les mômes, qui est un grand piège pour les auteurs jeunesse peu talentueux qui commettent l'erreur de puiser dans leur propres nostalgies, plutôt donc que ce point de vue dont les auteurs modernes essayent de se débarrasser depuis l'époque de la contre-culture, on a droit au contraire au point de vue des môme sur les adultes. Et ces adultes ont tous en commun de n'avoir aucune autorité, voir de ressembler plus souvent qu'à leur tour à des enfants, ce qui donnent des scènes cocasses et tendres, comme l'humiliation des pères de familles "collés" par une prof de math sadique qui les oblige à faire des additions enfantines mais déjà trop compliqué pour eux.

 

Je croyais donc lire, avec une certaine naïveté sans doute, une abominable cucuterie, et je découvre un livre qui représente, finalement, un bel exercice de style dans la création d'univers (je ne parle pas de style d'écriture au sens étriqué, pédanto-parisien, du terme), et retrouve en même temps ce vieux paradoxe : le livre plaira peut-être plus aux adultes qu'aux enfants pressés de grandir et de lire des choses plus "sérieuses".

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16 novembre 2020 1 16 /11 /novembre /2020 13:01

J'avais déjà fait part de mon enthousiasme pour les bandes dessinées de Ludovic Debeurme ici et . C'est que ces baydays hors norme comptent énormement pour moi, Le Grand Autre a été un des plus grands chocs de ma jeunesse dans ce domaine. Mais curieusement, je n'avais pas lu grand-chose depuis le diptyque Lucille / Renée chroniqué ci-dessus, d'où justement, l'absence de chroniques.

Il y avait tout de même, entre cette première époque lointaine et la présente année, quelque part en 2016- 2017 (soit entre deux lectures-découvertes de celui qui est sans doute possible l'inspirateur du style de Ludovic Debeurme : Charles Burns, dont j'avais chroniqué le sublime Black Hole), la lecture de Ludologie, son recueil de nouvelles graphiques autobiographiques. Une œuvre de jeunesse, à peu près contemporaine de Mes Ailes d'hommes qui m'avait transporté presque autant que Le Grand Autre, et de Céfalus sur lequel j'ai émis dans ma chronique des réserves que je n'aurai sans doute plus aujourd'hui. Pour ce qui est de Ludologie, ce fut une déception, pour des raisons sans doute très subjectives : je n'ai pas réussi à m'intéresser à ces récits d'enfance et de jeunesse, peu ragoûtantes, ce qui en soi est intéressant en terme d'exercice autobiographique, mais qui en l'occurrence ont eu l'effet néfaste de me démystifier l'univers imaginaire de Debeurme, d'autant que la touche onirique est ici gentillette, à base de détournement de dessins animés gnangnans (comme dans Céfalus d'après ma chronique, mais curieusement, je ne me souviens plus de ce détail). Ludologie et Céfalus méritent  tous deux relectures, étant donné que je serais plus conciliant dans cet article envers une œuvre plus consensuelle, moins représentative du style de Debeurme...mais n'anticipons pas.

 

J'ai donc décidé de me remettre sérieusement à Debeurme cet été, de me mettre à jour dans sa bibliographie, et de faire l'acquisition des principales baydays que j'avais manquées de l'auteur, dont une partie ne sont descendues de ma PAL qu'hier.

 

 

Je vais commencer par une œuvre singulière issu d'une collaboration. L'histoire n'en est pas de Debeurme mais d'un musicien singulier que je ne connaissais pas, Labalya Nosfell, qui a la particularité de chanter, dans la majorité de ses albums, dans une langue inventée, le koklobetz, la langue du monde imaginaire de Koklobaïa dont le chanteur prétend être originaire. Nait donc le la collaboration de Nosfell et de Debeurme Le Lac aux Vélies, un conte musical, seule occasion de voir les textes traduits (ils sont livrés dans l'alphabet originel, transcrits en alphabet latin pour certains, et tous traduits en français) et de découvrir l'univers de Koklobaïa. Parlons un peu de la musique, qui fut une très agréable surprise : des orchestrations classiques de qualité, par un musicien qui a manifestement une solide culture classique, des passages grandioses, mais jamais pompier. On peut écouter cet opéra insolite ici.  A lire les textes, on sent que l'univers de Nosfell est fait pour rencontrer celui de Debeurme, avec cette tragédie autour d'un anti-héros représentant un certain hybris, tragédie qui néanmoins  contraste avec la tentations de la loufoquerie, notamment dans les extraits d'encyclopédies de Kloklobaïa en annexes. Ce qui aurait pu être un simple livret de CD devient un grand album livré avec le disque, où éclate l'estéthique de Debeurme, à la démesure de cet univers, dans son imagination surréaliste très viscérale, marquée par la monstruosité. L'un de sommets de l’œuvre de Debeurme au niveau de l'art graphique, avec l'autre œuvre dont il va être question : Terra Maxima.

 

Terra Maxima est un recueil d'illustrations, sans textes, à l'exception d'un texte inquiétant d'une page en matière d'introduction, et qui amène à considérer autrement les illustrations, en leur répondant en écho. L'éditeur le présente comme un recueil d'illustrations de "monstres". C'est un peu réducteur : ces grandes vignettes ne représentent pas toujours la monstruosité, beaucoup sont des portraits bien humains, qui, comme toujours chez Debeurme, représentent des "gueules" incroyables, qui montrent à quel le dessinateur est un génie du portrait (on compte d'ailleurs des magnifiques portraits dans les annexes du Lac aux Vélies).

L'interaction entre le texte d'intro et les images est troublante, et au risque de spolier la chute du texte, elle introduit une thématique qui sera prégnante dans toute l’œuvre à venir de Debeurme, au moins les deux séries lues hier : celle du parricide, née de l'obsession de Debeurme pour la psychanalyse.

 

Transition facile vers le diptyque Trois Fils / Un père vertueux (qui devait au départ être une trilogie, mais il semble que les deux derniers tomes prévus ont fusionnés), l'un plus grand chef-d’œuvre de Debeurme avec Le Grand Autre. Cette fois, Debeurme passe à la couleur, et met par conséquent les bouchées double dans l'expérimentation visuelle. L'histoire sonne très actuelle : c'est celle des migrants, avec un père et ses trois fils qui fuient leur pays, abandonnant la mère. Des migrants que Debeurme dépeint, dans cet univers atemporels mélangeant l'Amérique et la France, les années 50 et le présent, évoquant même un futur de fantaisie par l'architecture, sous des traits très proche de cette culture simili-occidentale, esquivant tout exotisme malvenu. Entre ce père odieux, incarnation d'une société castratrice, et ses trois fils, ce sera une lutte à mort, au cours de cette fresque familiale teinté d'un merveilleux qui n'a jamais été aussi flamboyant depuis Le Grand Autre, traversés de véritables fulgurances poétiques inspirées de l'univers sombre et violent du conte.

 

J'arrive à la toute dernière série de Debeurme, le trilogie Epiphania....un cas très curieux.

La série commence fort, montrant la suite dans les idées de Debeurme. On y suit un rocker, David, qui ne veut pas avoir d'enfant, au risque de mettre en danger son couple. Son épouse, Jeanne, l'emmène sur une île, dans un stage tenu par un psychanalyste un peu gourou, qui vise à consolider les couples qui battent de l'aile.  Mais voilà qu'arrive un cataclysme, la chute de trois météorites, un raz-de-marée...notre David se retrouve veuf, mais par rune cruelle ironie, il en vient à assumer sa paternité en adoptant une insolite créature : l'un des mixbodies (bien qu'il faille plutôt les appeler du nom plus politiquement correct qu'ils adopteront eux-même : les Epiphanians), ces hybrides qui sortent de terre à a suite du cataclysme. Kojika, le fils adoptif de David , devient un bel adolescent, dans un temps troublés où les mixbodies commencent à déchainer la haine...et voilà que ceux-ci se révoltent.

Curieuse impression, donc, que cette trilogie...durant la lecture, j'ai été plus d'une fois tenté par un certain scepticisme de fan puriste. Car si l'on reconnait la patte de Debeurme, tant du point de vue thématique que graphique, c'est quand même du Debeurme 'achement lisse et sage, tant du point de vue narratif que, encore une fois, graphique. Serait-ce une série "commerciale" de Debeurme ? On n'y retrouvera pas ses expérimentations narratives et graphiques, ni ses fulgurances poétiques, on aura davantage l'impression de lire une série B de luxe, typiquement dans l'esprit de certains comics américains.

Et justement, c'est cet esprit comics qui m' a permis, contre tout purisme, de me laisser diablement prendre au jeu  de cette trilogie qui reste, malgré tout, une putain de bonne histoire. J'y ai retrouvé tout le souffle propre aux comics, qui n'a cessé de me bercé depuis mes années étudiantes, après un contact timide dans l'enfance.

Et comme je le disais plus haut, Debeurme montre de la suite dans les idées : brodant sur ses obsessions psychanalytiques, il revisite le thème du parricide au centre de ses œuvres précédentes, mais en en faisant une allégorie politique : querelle de générations, luttes sociales et sociétales, et au-dessus de tout, l'écologie, avec cette idée naïve ( qui me semble même douteuse quand elle est défendue au premier degré en dehors d'une fiction, comme c'est hélas devenu monnaie courante en ces temps de pandémie) de "revanche de Gaïa".  Un terrain glissant, donc, qui devient même miné quand  il met en scène une boucherie éco-terroriste répondant au fascisme galopant, mais l'auteur s'en sort très bien, distribuant les cartes avec subtilité pour éviter tout manichéisme, comme sait très bien le faire la culture geek contemporaine. Debeurme brode ainsi une épopée pleine de bruit et de fureur, sombre et violente, dans un contexte apocalyptique qui culmine avec le coup de théâtre du dernier tome, aux accents science-fictifs cette fois plus japonais qu'américains...Bref, ce grand Monsieur de la bande dessinée m'a convaincu même dans ses œuvres plus consensuelles, ce qui est une belle façon de surprendre.

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10 novembre 2020 2 10 /11 /novembre /2020 14:11

 

C'est pas que je veuille marcher dans la rhétorique martiale de nos élus, mais je n'ai pas vraiment participé à l'effort de guerre pendant le dernier confinage (lequel intervenait pendant les deux ans de sommeil du blog, mais bon je me cherche pas d'excuses). Il est temps d'y remédier et d'apporter aux autres confinés de quoi passer le temps pour supporter cette dure épreuve. Je me suis donc décidé à partager plusieurs  courts-métrages, mais aussi des longs, dispos sur Youtube. Beaucoup d'animation dans le lot, mais susceptible de se pas ennuyer du tout les adultes.

Je commence avec un premier trio de courts-métrages découverts gamins et enfin retrouvés au cours de ces dix dernières années. Le premier, retrouvé pendant le confinement, découvert grâce à Arte au tournant du siècle, à peu près à l'époque où la même chaîne me révélait Dark Crystal, servira d'excuses auprès des Bretons qu'a pu froisser mon dernier troll, grâce à son phare et à sa musique de Yann Tiersen. Il s'agit du  Cyclope de la Mer de Philippe Jullien, court-métrage d'animation poétique et cruel  à la fois (découvert dans le même thema que la primesautier Tombeau des Lucioles, quand même).

 

Suit un court-métrage d'animation plus horrifique, The Sandman, qui vaudra à son réalisateur, Paul Berry, de participer à la conception de l'univers de L’Étrange Noël de Mr Jack.

 

Le dernier de la trilogie, découvert dans la même projo en cours d'Art plastique, l'hilarant Gisèle Kérozène, le premier court-métrage de Jan Kounen. A voir en pensant aux effets spéciaux de oufs de l'époque : derrière les sorcières qui volent sur leurs balais, il y a un cascadeur ne cesse de faire des bonds, et un réalisateur qui n'a gardé au montage que les images où il ne touche pas le sol. Deux grands malades.

 

Découverte bien plus récente, cet été, un court-métrage bien plus hilarant encore et impertinent : Il était une fois l'huile de Winshluss, artiste dont j'avais déjà chroniqué un chef-d’œuvre de BD iconoclaste ici.

 

Tant qu'à être exhaustifs dans mes trouvailles et retrouvailles, j'ai retrouvé hier la trace d'un court-métrage vu il y a quelques nnées au ciné, Goose de Morgan Simon, qui n'est pas forcément un chef-d'oeuvre mais n'en reste pas férocement drôle.

 

  J'avais aussi parlé sur le blaugue, à peu près à la même époque que Winshluss, de René Laloux. Partis pour partager ses courts-métrages, je viens de découvrir avec surprise sur ses trois longs-métrages sont également sur Youtube. Il faut cependant signaler que son chef-d’œuvre, La PLanète Sauvage, est interdit aux mineurs par ces crétins de Youtube, qui le jugent vraisemblablement pornographique sur des critères infantilisants jusqu'au ridicule dont les Yankees de la Silicon Valley ont le secret. Si vous n'avez pas de compte Google, ou si ça vous casse vraiment les gonades de vous connecter, je vous conseille de télécharger (tout à fait légalement) un logiciel du genre 4k video downloader pour télécharger la vidéo, la description Youtube laissant entendre que le téléchargement ne sera pas bloqué pour raisons de droits. Pas de problèmes en revanche pour Les Maîtres du temps, de toute façon un peu plus orienté public jeune, ni pour Gandahar, ni pour la plupart des courts-métrages :

 

Son premier, Les Dents du singe, extraordinaire œuvre d'Art Brut réalisé avec les patients de la clinique psychiatrique où travaillait Laloux, patients que nous avons les privilège de voir sur cette version longue du court-métrage (je n'avais pas droit à autant par les bonus de mon DVD de La Planète Sauvage. En revanche, il est impossible de télécharger ce court-métrage-ci, du moins dans cette version, il semblerait que a chaîne Youtube la protège). 

Ses deux premières collaborations avec Roland Topor avant le long-métrage suscité, le très grinçant Les Temps morts, d'après une nouvelle de Jacques Sternberg, qui n'est certes pas des plus appropriés à cette période morose, et ce chef-d’œuvre d'humour noir et burlesque qu'est Les Escargots.

Je conclus le cycle lalouesque sur ses deux collaborations avec Caza en dehors de GandaharComment Wang Fô fut sauvé, adaptation de Yourcenar, et La Prisonnière, dont j'ai réussi à trouver une vidéo non interdite au mineurs (la nudité est plus explicite que dans La Planète Sauvage, mais franchement, cette censure à l'américaine reste ridicule).

 

Un réalisateur d'anim' qui me fait fortement penser à Laloux, c'est Jean-François Laguionie dont j'avais chroniqué Louise en hiver. Si aucun de ses films postérieurs aux années 80, et donc les plus connus, ne sont dispos sur Youtube, il y a néanmoins matière.

D'abord, son premier long-métrage, celui-là même qui me fait penser à Laloux, Gwen, le livrez de sable

Et ses courts-métrage, dont la plupart son dispos sur Youtube, et que je range ici dans l'ordre chronologique de leur réalisation :

La Demoiselle et le violoncelliste

L'Arche de Noé

Une bombe par hasard

Potr' et la fille des eaux

L'Acteur

Le masque du Diable

Et son plus célèbre court-métrage, La Traversée de l'Atlantique à la rame

En passant, en faisant ma recherche Youtube pour retrouver les Laguionie, je suis retombé sur Les Trois inventeurs de Michel Ocelot, qui à l'époque où je l'ai vu m'a semblé le meilleur court-métrage d'un DVD sur lequel j'avais été un peu sévère ici (il est probable que je le serais moins maintenant). Je vous laisse chercher vous-même les autres courts-métrages, je ne les ai plus en tête.

 

Comme la poésie et la grâce, ça va un moment, revenons à l'humour noir et à quelque chose de plus viscéral qui prouve que le cinéma expérimental peut-être un coup de poing émotionnel, avec J'ai vomi dans mes cornflakes de Pierrick Servais (oui, je sais, le titre fait peut, c'est là tout le sens de la dérision du cinéaste), retrouvons l'humour noir dans l' animation avec Ruka (La Main) du tchèque Jiri Trnka, retrouvons-y un humour noir plus soft et moins oppressant (sur une belle musique de New Order) avec More de Mark Osborne, et enfin, puisque j'ai mentionné ces grandes références essèfe que sont Laloux et Caza, finissons notre voyage en dérivant sans honte vers le cinéma bis, mais alors vraiment bis. Je vais cette fois partager une chaîne Youtube que je connais depuis le précédent confinement, mais dont  je n'ai presque rien vu : sur One night in the drive-in, chaine dédiée aux films rares du cinéma bis, dispos avec sous-titres français, je n'ai vu pendant le dernier confinage sur charmant nanard 50's The Monster of Piedras Biancas (découvert en cherchant, d'après mes souvenirs de môme, un des courts-métrages ci-dessus...saurez-vous deviner lequel ?). Je ne sais pas ce que valent les autres films, lesquels sont susceptibles d'être des navets ennuyeux, des nanards très drôles, de bonnes séries B...Je m'avoue surtout intrigué par le film yougoslave The Atomic Bride, et par Equinox  dont le résumé laisse penser à un intéressant précurseur d'Evil Dead de Sam Raimi. Peut-être les découvrirez-vous avant moi. 

 

Bon visionnage !

 

ADDENDUM :

 

Je n'avais pas fait le tour de ma filmothèque youtubesque. J'ai notamment oublié, pour ce que je peux me rappeler pour l'instant, une découverte faites pendant le dernier confinement grâce à une amie avec qui j'avais visité une expo d'une forme d'Art très ancrée dans la politique culturelle nordiste et dont j'avais déjà parlé, l'Art Brut. Dans cette expo d'Art Brut et d'Art Naïf, sur la fondation Paul Duhem, qui a eu lieu au musée de l'Hospice Comtesse, à Lille, se trouvait le tapissier Jacques Trovic, et mon amie m'a donc fait découvrir un documentaire sur l'artiste, sur une improbable émission d'Art Brut de la télé public, depuis arrêté semble-t'il, dont j'ignorais l'existence, et j'ai découvert que le documentariste, Jean-Michel Zazzi, avait abondamment filmé ces Arts populaires et marginaux et mis en ligne énormément de choses sur sa chaîne Youtube dont voici le lien. Sur cette chaîne, vous trouverez surtout des vidéos sur la culture en milieu scolaire, sujet auquel j'ai du mal à m'intéresser, mais qui vous plaira peut-être bien plus qu'à moi. En attendant, les documentaires relatif à l'Art Brut que j'ai pu dénicher sur la chaîne, et dont les formats varient de la vidéo de trois minutes au moyen-métrage d'une heure  :

Jacques Trovic

Jacques Trovic- Rushes et entretien

Raymond Reynaud, la force en dedans

Francis Marshall

Les "Guignols Solex" de Monsieur Gens

Paul Amar à la Fabuloserie

Les girouettes de la Fabuloserie

Raymond Moralès

 

EDIT :

Le Manège de Petit Pierre

(cette dernière œuvre extraordinaire a donné lieu à une vidéo qui lui rend encore plus justice, où en outre on voit l'artiste dont je pense qu'il ne doit plus être en vie, par un autre vidéaste, Emmanuel Clot, il y a une quarantaine d'années : c'est ici).

Exposition hors champs (tant qu'à en rajouter sur le musée de la Fabuloserie, dans l'Yonne)

L'oeuvre de l'abbé Lecoutre

 

Il est évident que j'en ai oublié des tonnes dans mes investigations, je vous laisse fouiller, et pas seulement sur la chaîne de Jean-Michel Zazzi (EDIT 1 : cf Emmanuele Clot sur Petit Pierre)

 

EDIT 2 : en revanche, je retire ce que j'avais écrit sur les vidéos de Raymond Moralès, premier exemple d'artiste brut dont j'avais constaté le succès sur Youtube. En réalité, cet artiste, victime de son esthétique morbide qui en fait le cliché de l'artiste "fou"au sens le plus dégueulassement sensationnaliste du terme (Bruno Montpied, dont j'ai donné plus haut le lien de ma chro de son Éloge des jardins anarchiques, personnage très attaché à la gaîté populaire de l'Art Brut, de l'Art Naïf et-il-s'en-fout-des-étiquettes-et-nous-aussi, a déjà exprimé sur son blog  Le poignard subtil ses problèmes avec la mode du "pathos" dans la promotion de l'Art Brut, encore parlait-il sans doute d'un versant plutôt "institutionnel" que, euh, "beauf"), le jardin de l'artiste n'attire  pas des "documentaristes" comme je l'ai affirmé naïvement, mais des touristes exhibant leur trophée sur Youtube. Si la vidéo que j'avais archivé sur mon disque dur pendant le précédent confinement, et qui semble disparu depuis, avait le mérite de ne durer que deux minutes et d'être accompagné d'une musique gaie et entraînante qui déjouait le pathos, ce qu'on peut éventuellement voir comme une marque de respect, il en va tout autrement de celle que j'ai essayé de regarder il y a quelques minutes, plus d'un quart d'heures de promenade touristique mal filmée accompagnée d'une abominable musique horrifico-hollywoodienne entre Tubular Bells et Hans Zimmer (que j'ai coupé dans l'espoir de regarder la vidéo avant de percuter connement ce que j'étais en train de regarder). Bref, rien ne vous interdit de chercher de genre de niaiseries par vous-même, mais il est hors de question que je les cautionne et que j'en fasse la promotion.     

 

Puisque on a abordé, avec l'Art Brut, un domaine où l'adulte assume sa part d'enfance (dixit Bricolage de Paradis, l'adaptation d’Éloge des jardins anarchiques, meilleur documentaire sur l'Art Brut ever, mais que je déséspère de voir sur Youtube), il est temps que je revienne sur la fixette absurde qui a dirigé le présent article : vouloir à tout prix viser les adultes, même dans l'animation. Je peux bien faire du familial, tant que je ne fais pas dans la niaiserie...même si je vais encore puiser dans mes propre souvenirs d'enfance, avec une belle adaptation franco-russe d'un conte d'Afanassiev, montré par le prof d'Art plastique ci-devant évoqué : Le Bateau volant. Je préviens : le son est exécrable, je pense que plus personne ne trouvera cette rareté des 90's avec un son correct.

 

Je clos là le premier addendum, car je ne doute pas qu'il y en aura d'autres, même si j'ai l'impression d'avoir bien fait mes fonds de tiroir numérique. S vous n'avez pas accès à la page Facebook du blog, revenez directement jeter un œil sur celui-ci de temps en temps. 

 

ADDENDUM 2 :

 

Comment ai-je pu oublier  cette fable politique dont l'humour noir résonne toujours aussi bien aujourd'hui L'Empreinte de Jacques Cardon ? (Je donne le lien de seule version que j'ai trouvé avec une image correcte, même si la colorisation me semble étrange).

 

Et quitte à parler des dessinateurs / animateurs iconoclastes des années 70, il est temps que je prenne sur la pudeur ridicule (et après ça donne des leçons aux GAFA) qui me retenait de signaler que les quatre longs-métrages du grand Picha sont en ligne, et vous savez désormais comment contourner l'interdiction aux mineurs (PAR CONTRE, CELLE-CI EST JUSTIFIEE !) sans compte Google.

Je ne peux conseiller en connaissance de cause que l'hilarant délire érotico-loufoque Tarzoon, la honte de la jungle mais je poste bien sûr les trois suivants, que vous verrez peut-être aussi avant moi :

Le Chaînon manquant

Le Big Bang

Blanche-Neige, la suite

 

Oserais-je vous asséner une forme de péplum à grand spectacle des années soixante-dix ? Au moins celui qui va suivre vous occupera trois heures, six pour les plus fous d'entre nous (et puis ça sera plus familial que Picha). Il s'agit du Message, fresque filmique sur Mahomet et la naissance de l'Islam, réalisé dans les années 70 par le réalisateur américain d'origine syrienne Mustapha Akkad, pour faire connaître la culture musulmane aux spectateurs occidentaux. La façon dont le film a été tournée, qui pourra sembler navrante à beaucoup, est en tout cas curieuse : le film existe en deux version, l'une "internationale" avec des acteurs anglo-saxons (dont Anthony Quinn) que vous trouverez en version française, et l'autre en version "arabe", avec des acteurs issus des pays arabes, ici en VOSTFR. Devant ce choix absolument draconien, je pense que pour beaucoup de gens qui fréquentent ce blog, et comme dit le mème viral du moment, "je crois la question elle est vite répondue non ?". Mais je poste quand même les deux versions par acquis de conscience, surtout que je dois confesser n'avoir vu que la première, la seconde n'était pas encore en ligne à l'époque.

 

ADDENDUM 3 :

 

De plus en plus impardonnable : oublier un court -métrage que j'avais déjà posté sur le blog dans mon article sur l'art du réalisateur  Fursy Teyssier. Il s'agit du grâcieux et mélancolique Tir Nan Og,d'une ambiance pas si éloigné de Laguionie, finalement.

 

Tant qu'on est revenu dans l'animation, une curiosité : La Faim de Peter Foldes, considéré comme le premier court-métrage en animation numérique, à cent lieu, tant du point de vue esthétique que du fond politique, des bouses qui prolifèrent aujourd'hui dans ce genre d'anim'.  

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9 novembre 2020 1 09 /11 /novembre /2020 16:02

 

Je m'étais dis depuis longtemps que la prochaine étape du périple mythologique, sur lequel j'avais laissé le blog en plan il y deux ans, aurait lieu dans une destination aussi exotique que la France, sur laquelle il n'y avait eu jusqu'alors que cette publication de contes libre de droit. Je ne m'attendais pas à ce que cette étape prenne une allure régionaliste. Cependant, si le présent article est un bien hommage à la culture bretonne, la vraie oserais-je dire, elle ne fera pas plaisir du tout aux autonomistes. Vous voilà prévenu.

 

Il s'agit du compte-tendu de lecture de deux recueils de contes parus chez Ouest-France, Contes de Haute-Bretagne (pays gallo, donc) de Paul Sébillot, et Contes de Basse-Bretagne (donc bretonnante) de François-Marie Luzel. De Luzel, je n'avais lu qu'un recueil de contes de fantômes chez le même éditeur, Fantômes et Dames Blanches, qui comme les deux dont il va être question, est une compilation et non un recueil canonique. Sébillot en revanche m'est plus familier : son monumental Folklore de la France, dans l'édition Omnibus renommée  Croyances, mythes et légendes de France, est un de mes livre de chevets mythologiques. J'ai depuis lu Contes de terre et de mer, dont je confesse avoir peu de souvenir  (la plupart des contes repris dans le recueil ci-dessus n'en ont guère éveillé, à l'exception de deux d'entre eux) et, plus récemment, Petite légende dorée de la Haute-Bretagne.

 

Mais surtout, au-dessus de ces deux figures familière, il y a la compilatrice de ces deux recueils, Françoise Morvan, dont j'avais déjà chroniqué avec enthousiasme l'anthologie Trois fées des mers, passionnant recueil-essai sur l'Histoire du passage du conte littéraire au contes folkloriques proche des sources...ce dernier genre étant représenté, justement, par Sébillot, avec le conte La Sirène de de la Fresnaie qu'on retrouve dans les Contes de Haute-Bretagne compilés par Mme Morvan. Et plus tard, j'ai eu l'immense surprise de retrouver la trace de cette éminente bretonnisante dans un journal du nom de...mais je réserve cette info pour plus tard, façon in cauda venenum

 

C'est peu de dire que Mme Morvan apporte une énorme plus-value éditoriale à ces deux recueils. Dans le choix des contes d'abord : en  effet, les deux recueils sont conçus en miroir l'un de l'autre, non seulement dans les parties qui les composent (on retrouve à chaque fois "contes merveilleux", puis "légendes chrétiennes" et "conte()s facétieux", et le récit d'une "veillée en 1836" par Luzel, où il est surtout question d'histoires de fantômes, correspond de façon plus approximative à la collection plus fournie de contes de "Fées et sirènes, lutins et chats-sorciers" de Sébillot), mais aussi dans les contes eux-même, dont certains se répondent d'un recueil à l'autre, en adaptant les même conte-types, l'inventivité des conteurs, ayant présidé au choix des contes, évitant toute monotonie.

 

Rien à redire sur l'enchantement poétique que procurent ces contes. Comme le note Mme Morvan, ceux de Sébillot sont davantage empreint d'humour et de tendresse, ceux de Luzel ont dans l'ensemble une tonalité plus sombre. Si je devais choisir mon préféré dans le recueil de Sébillot, ce serait La Princesse Dangobert, étonnant conte non seulement merveilleux mais épique (est-ce l'influence du nom à consonance mérovingienne dont la princesse du titre a hérité de son père ?) , tout à fait survolté et qui donne l'impression curieuse de ne pas avoir réellement  de personnage principal parmi tout le peuple parti délivré la princesse, même si le plus pauvre l'épousera. Chez Sébillot, la poésie s'invite dans le conte facétieux, comme cette histoire de Jaguens (les habitants de Saint-Jacut-en-Mer, héros de beotiana) en voyage à paris par la terre...mais comme d'indécrottables  marins, mettant une voile sur leur charrette et s'arrêtant pour nager dans un champs de lin fleuri (donc bleu) qu'ils prennent pour la mer.

 

Et les contes de Luzel, alors, plus sombre ? Ça se sent très discrètement dans ce recueil, qui ne comporte d'ailleurs qu'un seul conte facétieux au lieu de trois, encore cette variation, en miroir de celle de Sébillot, sur le conte-type du "voleur avisé" se finit-elle de manière elle particulièrement amorale. J'ai d'ailleurs beaucoup aimé l'amoralité de Crampoués, héros du conte merveilleux Crampoués ou les talismans, qui contraste curieusement avec la conclusion de sa quête qui sert au contraire un très joli exemple de morale populaire : le paysan qui aurait pu être gendre du roi, restera fidèle à la servante qui aura permis son ascenssion sociale et la sienne propre par la même occasion, tout d'eux dépassant le roi sans rien lui devoir, par la seule grâce d'un misérable talisman de sorcière rurale (autre trait curieux, d'ailleurs, dans les contes bretons des deux recueils, que les traits positifs que revêtent à l'occasion les figure de sorcières). Sans surprise, mon conte préféré du recueil est le plus sombre, et aussi le plus énigmatique, Le Château de cristal, un voyage dans l'autre monde emplis de visions stupéfiantes et parfois hermétiques. C'est pourtant avec l'autre monde que la facétie s'invite de la façon la plus inattendue chez Luzel : en effet, dans les contes bretons, si le voyage des mortels dans l'autre monde est traité avec sérieux et même gravité, en revanche, la visite en sens inverse, notamment de très saints personnages comme le Christ et ses apôtres, dans les "légendes chrétiennes" vire volontiers à la farce ! Ce qui amène d'ailleurs à songer avec la grande liberté que ces contes paysans des deux recueils manifestent à l'égard de la religion.

 

Il est temps d'aborder le sujet qui fâche : les préfaces de Françoise Morvan, et surtout celle du recueil de Luzel. Celle de Sébillot causera moins de remous : elle nous parle d'un chercheur qui a imposé les études folkloriques en France et fait d'elle une science sérieuse dont la réputation n'était plus à faire. La préface serait moins flamboyante si Mme Morvan n'avait donné en annexe de passionnantes notes de travail de Sébillot lui-même, témoignage de choix et très touchant (comme ses contes, finalement) sur les conteurs populaires autant que sur ses estimés confrères, notamment son regretté ami Eugène Rolland.

 

En revanche, la préface du recueil de Luzel est la plus passionnante que j'ai jamais eu l'occasion de lire à un recueil de conte et de mythes, très loin des rasages universitaires qui abondent dans le domaine. Car il s'agit du récit d'une lutte acharnée, dont Sébillot, disciple de Luzel, sera l'heureux héritier, entre les premiers bretonnisants scientifiquement sérieux, alors minoritaires, et la faction dominante à l'époque, les celtomanes adeptes du "roman national" breton, représentés par le général de La Villemarqué, et qui, comme tous les nationaliste, n'en ont rien à faire de la culture bretonne authentique, comme Luzel, disciple du général, s'en aperçoit très vite, notamment par la réception glaciale de sa récolte d'un théâtre populaire breton sur le point de disparaître. Un récit historique qui pour être rigoureusement étayé, n'en tiens pas moins en haleine, mais qui ne fera pas plaisir aux régionalistes. Car tous les mythes fondateurs de la Bretagne contemporaine au XIXe siècle y passent : la langue elle-même, artificiellement uniformisée, défrancisée et receltisée à partie de mots importés de l'archipel britannique, et les épopées recueillies par La Villemarqué, dont (roulement de tambour), le Barzaz Breih, dont Luzel et ses alliés (dont l'historien le plus scandaleux du XIXe siècle, Ernest Renan), mettront des années à démontrer la fausseté. Et  la "querelle du Barzaz Breiz" n'est pas éteinte à l'heure actuelle et fait de Luzel une référence polémique plus d'un siècle après sa mort. Car on s'attaque là à l'âme de la nation bretonne, celle qui a inspiré nombre d'artistes, certains que j'estime moi-même comme Alan Stivell et d'autres que j'admire profondément comme François Bourgeon pour sa sublime BD Les Compagnons du Crépuscule....autant de personnes qu'on ne peut suspecter d'être fascistes, mais c'est le propre du roman national de s'insinuer partout, jusque dans nos écoles. D'ailleurs l'article Wikipédouille se montre très complaisant envers l'épopée, et se montre d'ailleurs assez inconsistant sur la querelle et même un rien allusif sur le contenu même de l'épopée...

 

C'est ici qu'il est temps de dévoiler le titre du journal où j'ai retrouvé de la façon la plus inattendue la trace de Mme Morvan : il s'agit d'un numéro d'Anarcho-syndicalisme, dédié au compte-rendu d'un événement intitulé "Journées iconoclastes", ou Françoise Morvan intervenait à une table ronde en tant que bretonnisante aux côtés notamment, d'un occitaniste, pour démonter les romans nationaux devenus régionaux, et donc contribuer à porter un coup sévère aux récupérations nationalistes de la langue, de la culture, et, ce qui me préoccupe depuis le début de mon "périple mythologique" dont je ne parle finalement que d'une infime partie de ce blog, des mythe et des légendes. Il s'agit surtout, d&ans la revue, de démonter et ce que servira toujours le nationalisme : les intérêts d'une classe dominante, qui dans le cas de la Bretagne, comme dans celui de la France, et à la différence de l'Occitanie plus pauvre, sont davantage ultra-libéraux que frontistes, la région abritant le plus puissant patronat de France qui salive aujourd'hui à l'idée d'une "Europe des régions" (d'où le projet irréaliste, et abandonné devant la fronde populaire, d'un certain aéroport près de Nantes). Eh oui les z'amis, les zoulies légendes de l'ancien temps, ça sert aussi à ces choses vulgaires.   

 

Après la lecture de ces deux recueils, qui, comme vous le voyez, soulèvent davantage de questions qu'on est en droit d'attendre de simples contes, je ne suis guère optimiste pour l'avenir : je sais par ailleurs que le décès de Sébillot, au lendemain de la Première Guerre Mondiale où ont péris nombre de ses collègues, marque symboliquement la fin de la science folklorique française, qui ne revient de l'après-guerre à nos jours que de façon marginale dans le monde universitaire. Dans le marasme où plongent les science humaine sous l'effet des politiques ulra-libérales, les dernières nouvelles que j'ai, tant par mes correspondant internet que par des amis que je côtoie en vrai, de l'étude des cultures anciennes sont désastreuses. Il n'y a ainsi plus aucun spécialiste de la culture celtique ancienne en poste dans une université française. De quoi me porter à croire un ami helléniste sur la disparition prochaine de sa discipline, bien que le grec et le latin, la "sève de notre langue" comme  disait récemment un élu, soit essentielle au roman national que les bretons diraient "jacobin". De quoi laisser prospérer les impostures intellectuelles de toute sorte. Alors que nos "élites", après  des décennies à casser l'éducation, la recherche, surtout en sciences humaines, et la culture, savante et populaire, n'en chouinent pas moins sur la montée des populismes et l'explosion des fake-news, n'y aurait-il pas des leçons à en tirer ?

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19 octobre 2018 5 19 /10 /octobre /2018 04:20

Je vais pas vous la refaire à chaque fois (même si là, je tiens mon record depuis la création du blog : plus d'un an sans nouvel article. Faut dire que huit mois sans internet dans mon nouveau logement, ça aide pas), mais il était temps que je réveille ce blog.

Quoi de mieux pour cette résurrection que renouer avec ma vieille monomanie (ce que je fais avec mes lectures depuis deux ou trois mois) et de reprendre  le périple mythologique ?

C'est parti avec un collection découverte récemment : "La vérité des mythes" chez les Belles lettres. Si on a l'air d'y trouver à boire et à manger (un essai sur Steve Jobs au milieu des essais d’hellénistes, sérieux ?), je ne suis pas mécontent de la lecture des deux tomes que j'ai pioché d'eux : Les Mythes de la création de Jean-Pierre Otte, dans lequel la liste d'ouvrages de la collection m'a évidement donné envie de montrer de la suite dans les idées en enchaînant (enfin, un enchaînement de près de quatre mois, le temps de trouver les fonds nécessaires pour l'acquisition du livre) avec l'essai La Fin du monde de Christine Dumas-Reungoat.

 

Les Mythes de la création, sous-titré Les Matins du monde du cercle polaire à L'Océanie, détonne un peu au milieu de cette collection dominée par la culture gréco-romaine, puisqu'il s'agit d'une anthologie d'adaptations littéraires de peuples dits "premiers" (terme problématique, je sais). Comme j'ai souvent dit sur le blog, les adaptations littéraires, j'ai tendance à éviter. Ici, au moment critique de l'impulsion d'achat (notons que c'est déjà une chance de trouver un livre de cette collection, et même de cet éditeur, en rayon en librairie), ma méfiance envers les réécritures (d'autant que la rédacteur et la rédactrice de la 4e de couv' se vautre dans le ridicule en prétendant, à propos des réécritures de Jean-Pierre Otte que "cette démarche fera date". Je conçois que Otte ait apporté un style d'écriture propre, comme tout écrivain en ayant un tant soit peu, mais sinon la démarche a peut-être "fait date" il y a 2000 ans avec Apulée, oui) a été contrebalancée par la perspective de découvrir des mythes dont ce serait la seule occasion de les découvrir en français (même si j'en connaissais quelques-uns, au moins des variantes). Mon préjugé classique explique très certainement que j'ai laissé trainer les premiers chapitres du livre pendant un petit six mois, avant de me laisser prendre au jeu, à la fois des histoires bien sûr, mais aussi du style de Otte qui est remarquable (et puis c'est bien connu, l'oralité est impossible à rendre à l'écrit, que ce soit par les réécritures ou par la transcription littérale qui posent chacune des problèmes insolubles, un essai lu il y a quelques mois me l'a rappelé et m'a donc remotivé pour lire le présent livre. Mais bref).          

Les Mythes de la création est en fait une intégrale (d'un bon 600 pages quand même) de la série Les Matins du monde, regroupant trois tomes  parus chez Seghers (curieusement, il semble manquer deux tomes suivants chez Julliard, alors même qu'ils sont mentionnés dans la bibliographie) : Les Aubes sauvages, Les Aubes  enchantées et Les Naissances de la Femme. Chacun accomplit au fil des chapitres le même tour du monde : peuples esquimaux et sibériens d'abord, puis Amérique du Nord, Amérique du Sud, Afrique Noire, Australie et enfin Océanie. Avec des nuances toutefois : pas de mythes australiens dans Les Naissances de la Femme, en revanche Les Aubes enchantées intercale, juste après les peuples esquimaux et sibériens, un extrait du Kalevala, la fameuse épopée nationale finlandaise dont je suis un groupie absolue et dont j'avais déjà parlé sur ce blog.

  Si vous me permettez une parenthèse, ce dernier choix  me semble curieux, à l'image de l'anthologie finalement : d'abord inclure dans une anthologie de mythes "premiers" une légende paysanne finlandaise du XIXe siècle (dont le littérateur, Elias Lönnröt, a peut-être gommé les influences chrétiennes, ce qui contribue à faire oublier que ce mythe, même singulier et manifestement païen à l'origine, n'a rien de l'OVNI anachronique qu'on imagine dans l'Europe contemporaine. Mais ceci nous emmènerait trop loin), alors qu'aucun des trois tomes de l'anthologie ne consacre un chapitre à l'Asie (Sibérie exceptée, regroupée dans la région arctique), et puis il est peut-être plus curieux encore de mentionner ce mythe archi-connu, popularisé entre autre par Boris Vian et Tolkien, alors que dans la préface du même tome, l'auteur avoue son intention d'écarter les cosmogonies les plus connues comme le Popol Vuh Maya, La Légende des Soleil Aztèque ou les mythes Dogons et Bambaras popularisés par l'école Griaule (tous mythes abordés sur ce blog exceptés ceux des Bambaras que je ne connais pas du tout). L'adaptation du Kalevala est celle qui m'a le moins intéressée, car je connaissais le texte original dans la langue versifiée empruntées aux chanteurs populaires et réarrangées par Lönnröt, en regard duquel l'adaptation de Otte paraît forcément plus fade.

Ce n'est pas mon ressenti pour tous les textes, et j'arrive au nœud de cette navrante chronique : si, de manière générale, il est rare que je sois convaincu par les réécritures littéraires, disons, "décomplexées", qui me semblent le plus souvent du délayage ampoulé mais fade, je dois m'incliner devant la plume élégante de Otte. Celui-ci donne corps aux mythes par ses descriptions chatoyantes, qui conférent au récit à la fois un ancrage réaliste (bon à prendre quand on a du mal a se représenter le cadre d'une légende faute de documentation suffisante) et un exubérant merveilleux. Un merveilleux peut-être plus "fleur bleue" que les transcriptions fidèles que certains détails laissent parfois imaginer plus rude, et qui peut-être dissipe quelques mystère que celles-ci laissent dans leur concision (oui, vous avez compris, encore mon obsession de grincheux...d'ailleurs, plus trivialement, un style plus sobre permettrais de caser beaucoup plus de textes, fut-ce même dans un volume moindre, dans une autre anthologie, et je vous assure que j'y ai pensé plusieurs fois à la lecture), mais globalement, je n'ai pas boudé mon plaisir. Et puis Otte montre une grande honnêteté intellectuelle dans la citation de ses sources (en début de chaque chapitre sur un continent, où tous les mythes adaptés sont résumés, et bien sûr dans l'abondante bibliographie de fin d'ouvrages), et il accompagne chaque tome d'une préface qui n'a pas forcément de prétentions savantes dans le sens le plus universitaire du terme, mais propose des pistes pour comprendre les mythes, citations à l'appui, et si je ne peux juger en tant que néophytes de la fiabilité de ces préfaces aux yeux des spécialistes (ce qui est sûr, c'est que cette anthologie accuse son âge, dans un domaine où il est nécessaire d'être à jour), la sincérité de l'auteur dans son intérêt ethnologique ne peut faire de doute.

 

  Ensuite, La Fin du Monde : enquête sur l'origine du mythe de Christine Dumas-Reungoat, livre qui va être bien plus difficile à chroniquer. Il s'agit cette fois d'un essai universitaire, sans volonté de vulgarisation, particulièrement ardu, même si le fond est passionnant (pour que je passe une nuit blanche à terminer un livre qui n'a rien, mais alors rien d'une lecture récréative, c'est qu'a priori, quelque chose m'a accroché).

  Enchaîner cette lecture après celle de Jean-Pierre Otte m'a forcément donné des attentes qu'on pourrait qualifier de fantasmes de pré-lecture (mais qui reste néanmoins justifiées, j'y reviens dans un instant) : après l'exploration de mythes de création dans le monde entier, le pitch de l'essai de Dumas-Reungoat me laissais entrevoir l'idée que la Fin du Monde ait une origine locale (en gros, le Proche-Orient antique et le monde gréco-romain), avant de se répandre dans le monde entier sous l'influence des religions du Livre. En fait le livre, malgré ses nombreuses révélations passionnantes, n'a pas répondu à ma question, qui est sans doute en partie un fantasme de pré-lecture, mais est aussi suggérée par une maladresse de l'autrice (et pas seulement du titre de la 4e de couv'), ce qui m'oblige à commencer la critique, par ailleurs enthousiaste du texte par une note négative. L'accroche du livre, reproduit sur la 4e, part du présent, c'est à dire "la peur de l'an 2000" (l'essai date de 2001), ce qui pousse d'ailleurs l'autrice à commettre une première maladresse en évoquant la "peur de l'an mil" très contestée des médiéviste, mais on va dire que c'est un détail (et la fin de l'essai donne, à propos des calculs de la date de la Fin du Monde par les premiers chrétiens et notamment de Saint-Augustin qui la prédisait pour le Xe siècle, une piste intéressante sur l'origine de ce qui reste avant tout une reconstruction de l'époque romantique, mais bref). La première vraie maladresse de l'autrice est de faire partir l'enquête de l'époque actuelle, mais sans préciser quelle aire de civilisation elle étudie. L'occident ? En rajoutant la civilisation arabo-musulmane, héritière de la même idée ? La chercheuse semble sous -entendre l'idée d'une universalité de l'héritage  gréco-romain et judéo-chrétien, par un ethnocentrisme d'autant plus problématique qu'il n'est jamais formulé. Sur cette question, je reviendrai après la critique du corps du livre, car je vais être obligé de l'étayer de quelques menus détails.

 

  Car quand on entre dans le corps de l'essai, celui se révèle passionnant. La thèse de la chercheuse repose sur l'opposition entre deux conceptions, la Fin D'UN Monde et la Fin DU Monde. La première est celle des civilisations païennes, notamment gréco-romaine, mais aussi de la Bible avec le Déluge de la Genèse, celle d'une Fin provisoire qui amène un recommencement.  La seconde est une Fin "radicale et définitive", et elle vient principalement de la Bible, mais la fin de l'essai amènera, avec toute la prudence que commande l'aspect lacunaire des sources, à en rechercher la source  en Iran.

  L'essai commence par un corpus de textes antiques, qui bien entendu ne se veut pas exhaustif. On y trouve évidement des textes  gréco-romains et judéo-chrétiens (Bible canonique ou apocryphes) mais aussi leurs sources supposées, en Iran comme je l'ai dit,  et en Mésopotamie. 

  A partie de là, l'essai adopte un plan presque scolaire, avec deux partie de deux chapitres chacune. La première partie s'intitule "Fin d'un Monde, Fin du Monde, deux mythes consubstantiels" en évoquant, pour résumer très grossièrement, les ressemblances entre les deux mythes, puis leurs différences, sachant sur ce point le deuxième chapitre s'intitule "Un jeu inverse de miroir", et la chercheuse tient à cette nuance dans la conclusion : les mythes ne sont pas du tout en opposition, même s'ils se basent sur ces conceptions opposées du Temps (cyclique vs linéaire) et de la divinité (panthéon proche des humains, faisant partie du monde vs Dieu unique transcendant, totalement en dehors du monde). Tout ceci sent son Mircea Eliade, mais en incomparablement plus rigoureux et proches de sources qu'Eliade, que Dumas-Reungoat cite d'ailleurs de façon critique en disant notamment qu'il a tendance à "effacer les différences entre religions".

  Cette première partie montre que Dumas-Reungoat maîtrise son sujet et connait les religions et philosophies antiques sur le bout des doigts. D'explications philosophiques ardues en commentaires littéraires méticuleux, j'ai eu non seulement l'impression de comprendre en profondeur de théologie judéo-chrétienne, mais de découvrir celle de la Grèce antique, dont Dumas-Reungoat sait tirer un tout cohérent du grand fouillis des mythes et textes philosophiques, les même conceptions (même si pas du tout unifiées, évidement) revenant de manière récurrentes dans les récits mythologiques les plus imagés comme dans les textes philosophiques les plus abstraits, ainsi de la destruction cyclique du monde par le feu et/ou par l'eau .

La deuxième partie explore les sources proche-orientales, d'abord du mythe de la Fin d'un Monde, puis du mythe de la Fin du Monde, en convoquant les sources jusque là délaissées du corpus initial : la Mésopotamie et l'Iran. A partir de cette seconde partie, la chercheuse avance bien plus prudemment, et cette partie ne fait pratiquement que poser des questions et apporte peu de réponses définitives. C'est particulièrement vrai pour le premier chapitre sur l'origine de la Fin d'un Monde : la source Mésopotamienne du Déluge biblique ne fait guère de doute, en revanche sur les sources orientales des mythes gréco-romain (du moins de certaines versions qui nous sont parvenues, la Fin d'un Monde et notamment le Déluge étant de toute façon universels comme peut en témoigner, ça tombe bien, l'anthologie de Jean-Pierre Otte), les hypothèses avancées par la chercheuse, dans le passage qui est sans doute le plus aride du livre, pour ne pas dire éreintant, m'ont donné l'impression très courante dans mes lectures en mythologie comparée d'être à la fois tirées par les cheveux et étayées de manière convaincantes, de sorte que je ne sais dans quelle mesure elle m'ont convaincu  rationnellement, ou persuadé en me faisant rêver, étant entendu que rien n'est bien sûr à ce stade de l'enquête.

  Avec le dernier chapitre, relativement plus accessible que le précédent, on arrive au nœud de l'enquête. La Fin du Monde judéo-chrétienne aurait d'abord emprunté sa forme (mais sa forme seulement) dans les oracles de Mésopotamie, région où l'ont trouve les plus anciennes traces de divinations, mais ces oracles étaient exclusivement privés, concernant les entreprises du roi, et par là forcément de la cité. Puis l'autrice procède à rebours, détaille l'invention de l'Apocalypse dans la Bible, ou elle apparait dans le live de Daniel après une longue gestation dans la série des livres prophétiques, puis l'apport des premiers chrétiens, chez qui nait le sentiment  que la Fin du Monde est imminente (ce qui donne les premiers calculs de sa date, la fameuse tradition "millénariste", évoqués dés l'introduction du livre), et enfin repart dans le passé à la recherche des sources iraniennes de l'Apocalypse.

 

  Au sortir de l'essai, je garde une impression positive d'un essai rigoureux et documenté avançant une multitude d'hypothèse passionnantes. Après, la thèse générale a-t-elle répondue à ma question ? C'est là que je reviens sur mes réserves initiales, concernant l'ethnocentrisme pas du tout formulé de l'ouvrage (tout le problème est dans le "pas formulé", car il n'y aucun problème à ce que l'autrice recherche un mythe dans une aire de civilisation donnée). Dans mes "fantasmes de pré-lecture", j'imaginais que Dumas-Reungoat évoquerais au moins rapidement les mythes "premiers", fut-ce pour balayer d'un revers de main l'existence d'un mythe de la Fin du Monde dans ces civilisations. Le problème est paradoxalement que la  chercheuse le fait d'une certaine façon, ou en tout cas évoque les "civilisations primitives" une seule fois lors d'un résumé de la thèse du "désenchantement du monde" dans la sociologie des religions de Marcel Gauchet. Je ne connais pas du tout Gauchet, mais il me semble contradictoire que Dumas-Reungoat reprenne à son compte un schéma d'une Histoire linéaire des religions, alors qu'elle est plus critique avec Eliade.

  Ma gêne, plus philosophique que scientifique (il est évident que je ne contredirai jamais l'autrice sur son terrain, celui des antiquités), vient du point de départ de l'ouvrage, l'accroche sur "la peur de l'an 2000" (ou de l'éclipse de 1999), qui n'est pas qu'une accroche sensationnaliste à deux sous  puisque la première page de l'introduction mentionne dans la foulée l'ancienneté de la tradition "millénariste" qu'expliquera abondamment, comme dit plus haut, le dernier chapitre de l'ouvrage. Celui-ci, indépendamment de sa rigueur, parait surtout daté aujourd'hui : une dizaine d'année après sa parution, surprise, l'hystérie collective des braves occidentaux ne s'inspire pas de la Bible mais d'une obscure histoire de calendrier Maya. Je ne m'éterniserai pas sur les mythes mésoaméricains dont j'avais déjà parlé ici, car ce n'est pas le propos, juste quelques éléments qui prouvent que nos grands mythes peuvent s'inventer parallèlement : je ne connais rien aux sources  de cette histoire (où je soupçonne quelques réarrangements occidentaux à a sauce new age) d'"Apocalypse" maya, ne connaissant que leurs "Genèse", en revanche il me semble que, dans la mesure ou la dualité "Fin d'un Monde / du Monde" avancée par Dumas-Reungoat puisse avoir un sens en dehors de notre aire culturelle, la Fin du Monde aztèque (celle du "Cinquième soleil") est elle aussi "radicale et définitive" (et sans guère de Salut), mais il faudrait que je sorte de mes cartons mon édition de La Légendes Soleil pour vérifier, pour l'instant je dois me contenter de Wikipédouille. Mais bref, tout ça pour dire qu'une nouvelle enquête partant d'un mythe vivace à l'heure actuelle dans le monde entier (il est évidement question de prophéties mystiques, pas de la Fin du Monde rendue possible par Hiroshima et fortement dans l'air du temps avec les questions climatiques, même si nombre de fadas mélangent les deux), ne pourrait plus ignorer la mondialisation où même les mythes "premiers" nourrissent abondamment notre imaginaire.

 

Il est temps de clore ce débat de plus en plus oiseux en ouvrant l'article vers une parenthèse imaginative sur mes fantasmes, cette fois-ci, "d'après-lecture". Il est vrai que j'ai très peu rencontré de traditions apocalyptiques "premières". Avant de repenser avant-hier seulement, juste après ma folle nuit de lecture, aux mythes aztèques et mayas, mon premier souvenir fut celui d'une lecture enfantine (alors qu'approchait justement la date fatidique de l'an 2000) à propos du peuple Korowai de Nouvelle-Guinée, où j'ai été particulièrement marqué par leur cosmologie divisant le monde en trois cercles concentriques, le monde des vivants au centre, le monde des morts et enfin le grand océan qui doit tout engloutir à la fin des temps

  En dehors de toute piste scientifique qui j'imagine a déjà été exploré en long, en large et en travers par des gens plus compétents que moi, ces maigres éléments m'ouvrent un rêve fabuleux, le fantasme guère réaliste mais affriolant d'une anthologie qui serait l'exact pendant de celle de Jean-Pierre Otte.

  Mais je vais m'arrêter là, je me fais du mal.  

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21 août 2017 1 21 /08 /août /2017 22:00

Après Didier Lemaire, encore une fabuleuse découverte faites par hasard dans le domaine de la nouvelle. Une découverte plus ancienne : j'avais emprunté ce recueil il y a déjà plus de neuf mois, dans un lieu branchouille mais où passait un bon concert et qui, au moins, abritait une bibliothèque sans adhésion ni limitation d'emprunt, même en délai (j'ai peut-être un peu exagéré, du coup). J'avais déjà lu les trois premières nouvelles, qui m'avait fait fort impression, même si j'avais du mal à rentrer dans l'univers particulier de Marcel Schneider, et notamment dans son style. La lecture / relecture récente du recueil entier a confirmé que  ce recueil était pour moi la claque de l'année.

Divinités du Styx n'est pas un recueil "officiel" de Marcel Schneider. Il s'agit d'une anthologie, publiée en 1998 par son éditeur attitré, Grasset, de ses nouvelles publiées entre 1965 et 1987, plus trois nouvelles inédites écrites dans les années 90. J'ai oublié de dire que l'anthologiste et le préfacier  n'était rien de moins que le grand George-Olivier Châteaureynaud, l'auteur du grand roman L'Autre Rive et dont j'avais aussi chroniqué une autre pépite, Résidence Dernière. Je crois bien, d'ailleurs, que cette préface a fortement contribué à me faire emprunter le livre, et elle est effectivement passionnante, situant très bien Marcel Schneider, non seulement dans le monde des belles lettres où il est marginalisé par son goût des chimères (très belle défense de l'imaginaire méprisé par l'intelligentsia française que cette préface), mais aussi dans le fantastique où il est déjà un peu marginal, plus proche de ce genre mal défini qu'est le merveilleux.

Maintenant que j'ai assez parlé du livre, parlons des nouvelles.

Un lecteur intéressé par la modernité littéraire, sans même parler d'avant-garde, trouverait les nouvelles de Schneider rétrogrades. Pour des nouvelles toutes publiées après 1960 (même si l'auteur, témoin du XXe siècle, est né en 1913), le style, que d'aucun pourrait juger précieux, fait davantage penser au XIXe siècle, et quand les nouvelles, notamment les plus tardives publiées (je ne compte pas les inédites), font dans le récit historique, on se croirait tout à fait chez un auteur du XIXe. Le côté "vieille France" de l'auteur, même s'il dissimule très adroitement ses sympathies pas très sympathiques (proche de l'Action Française, de ce que j'ai entendu dire), renforce cette impression. Pas forcément très avant-gardiste ni même moderne, mais on y retrouve toute la saveur des classiques des grands auteurs du fantastique dans un style éclatant, même si peut-être effectivement un peu précieux.

  Fantastique ? Cela fait débat, comme dit plus haut. A l'exception notable de Et Carnaval triomphe, seule vraie nouvelle d'épouvante du recueil, bien que l'intérêt soit davantage dans l'esthétique baroque et le pastiche de récit libertin dans une Venise dangereuse pour les jeunes âmes, et de certain passages de  la plus belle nouvelle du recueil, Le Granit et l'absence, l'autre monde, le "tramonde" de la dernière nouvelle citée, ne fait guère peur, et est au contraire un soutien face à la barbarie du monde et de l'Histoire, qu'elle soit celle de la Révolution ou du XXe siècle, l'une comme l'autre vécue essentiellement du point de vue de la région natale de l'auteur, l'Alsace. Beaucoup de nouvelles ressemblent à des récits de miracle chrétien, voire païen dans Le Pilier de l'univers, récit très ambigu du trip mystique de trois adolescents dans la Prusse-Orientale d'un IIIe Reich en cours d'effondrement. Tout ceci n'a rien de bondieusard (il est de toute façon difficile de cerner la mystique de l'auteur, d'un christianisme certainement hétérodoxe), mais offre des images mystiques d'une profonde beauté, très nourries de culture germanique et celtique (l'un des recueils, dont sont extraits trois nouvelles de l'anthologie, dont Le Pilier de l'univers, s'intitulent La Lumière du nord).

  Certaines nouvelles sont plus inclassables : Opéra Massacre, seule nouvelle tirée du premier recueil du même nom de l'auteur, est de loin la plus étrange, sorte de fantaisie dystopique et surréaliste sur l'avant-garde artistique, qui n'a pas manqué de me rappeler, à tort ou à raison, les nouvelles d'André Pieyre de Mandiargues dont j'avais dit des bêtises aux débuts de ce blog. Le Granit et l'absence, à mon sens de sommet de l'anthologie, est également assez étrange, bien que de façon plus discrète, et partage avec la précédente, de façon plus poussée encore, une folie stylistique que l'auteur perdra par la suite, sans doute avec la maturité. C'est la principale raison qui m'a un peu freiné pour apprécier pleinement les nouvelles de l'anthologie : les deux premières nouvelles, et en fait surtout la seconde, plaçait la barre si haut, j'avais tellement de mal à redescendre après Le Granit et l'absence, que la suite m'a semblé un peu fade en comparaison. Ce qui n'enlève rien à la qualité de l'ensemble.

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21 août 2017 1 21 /08 /août /2017 20:52

Encore une trouvaille fabuleuse faites par hasard par hasard, en chinant chez un bouquiniste à l'occasion d'une sortie librairies avec un club de lecture (je suis d'ailleurs ravi d'avoir trouvé ce livre d'occasion, pas seulement pour une vulgaire raison pécuniaire, mais parce que ça m'évite de nourrir son éditeur aux pratiques honteuses, L'Harmattan. C'est une tragédie que ce merveilleux recueil se retrouve noyé dans leur surproduction pas du tout mise en valeur car à quasi compte d'auteur).

  J'ai déjà dit maintes fois que les contes traditionnels réécrits ne m'intéressaient guère. De tout ce que j'ai pu explorer en la matière, le style ne m'a jamais semblé assez intéressant pour compenser la perte de la fraîcheur originelle. Comme je l'ai heureusement pressenti, avec ces Contes et récits métissés de Guyane, (sous-titrés L'homme mélangé, titre du premier conte mais aussi leitmotiv du recueil) la question ne se pose pas : même si ce recueil est paru (en 1998) dans la collection La légende des mondes dont j'avais parlé ici et , il s'agit bien de contes littéraires, de nouvelles merveilleuses qui ne prétendent pas faire référence à une tradition orale donnée, genre dans lesquels j'ai parfois eu de bonnes surprises (je ne compte pas celles de l'enfance,  bien plus déterminantes dans ma vie de lecteur). Ici, c'est plus qu'une bonne surprise : c'est une claque monumentale.

Didier Lemaire, "métro" tombé amoureux de la Guadeloupe et de la Guyane où il a enseigné les lettres, n'est pas seulement un prodigieux conteur, c'est un authentique styliste, on pourrait dire un poète (il a effectivement  écrit de la poésie, me souffle mon édition), qui sait faire chanter la langue, et pas seulement la langue française classique qu'il est censé enseigner, aussi le parler créole auquel il emprunte nombre de mots pour créer une langue à l'image du métissage qu'il espère. Par sa langue virtuose (je n'ai pas voulu écrire sa plume, tant l'oralité se fait sentir derrière ses mots), il nous plonge au coeur du légendaire de cette Guyane qu'il admire tant, où la réalité sociale s'entremêle aux rêves, et aux légendes (indiennes, africaines, créoles, mais aussi classiques : le conte Fatrasie avec cris, rire et râle d'un ara transpose le mythe d'Hercule dans une Guyane atemporelle où le époques, les figures historiques et légendaires se mélangent). Par sa  langue aussi, il exalte les idéaux humanistes et même à l'occasion libertaires (on sait de qui la Guyane fut la dernière destination) et sait plus d'une fois nous toucher droit au coeur,. A ce titre, à mes yeux, la plus grande réussite, la plus magnifique et la plus bouleversante nouvelle du recueil, la plus folle au niveau de l'écriture, peut-être la plus cruelle aussi, est Veillée à Royale, échappée onirique et utopiste de deux bagnards, le narrateur noir et son ami blanc, anarchiste et déserteur. Parfois le rêve seul, le merveilleux de cette Guyane, sert d'échappatoire à la brutalité du monde, comme dans le dyptique de la déesse Man Dilo, assez bouleversant lui aussi, mais se perdre dans ses rêves n'est pas vraiment une bonne solution, peut-être parce qu'il reste tant à construire avec ses semblables. Au-delà de l'onirisme et et de l'émotion, le recueil n'hésite pas non plus à faire rire, comme avec Kikivi cou coupé, revanche féministe sur les profs métro libidineux en mal d'amours exotiques.

On sort de ce recueil en état de transe, la tête emplie d'images, de couleurs, de mots, de légendes. Peut-être un chef-d'oeuvre oublié (et pour cause !) du merveilleux francophone.

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11 juillet 2017 2 11 /07 /juillet /2017 20:46

  Inculte comme je suis, je ne connaissais jusqu'alors Tahar Ben Jelloun que de nom. Un nom, qui, certes, me hantait depuis que j'en avais lu extrait de son oeuvre dans un manuel de français de collège, la condition idéale pour qu'un titre de roman ou un nom d'auteur me marque de façon indélébile, m'inspirant des envies de lectures à l'âge adulte (c'était le cas pour Le pays ou l'on arrive jamais d'Andre Dhôtel, et je pourrais également citer, non chroniqué sur ce blog, L'enfant noir de Camara Laye). Trouver Au Pays, l'un de ses romans récents (2009) pour une demie-cacahuète sur une brocante était l'occasion idéale. 

  Au pays conte l'histoire de Mohammed, un immigré marocain de la première génération, auquel, après une vie de labeur en usine, arrive le plus grand drame de son existence : la retraite, qui le laisse désoeuvré jusqu'à l'anéantissement. Une grande partie du roman (par ailleurs assez court), Mohammed le passe à méditer sur son passé, sur son sentiment d'être si peu en phase avec son époque. Mohammed est un personnage extrêmement complexe : il aime profondément l'Islam tout en en rejetant  des dérives fanatiques, mais il n'est pas non plus moderne, ses idées peuvent sembler réactionnaires. Il aime la France, le pays qui l'a accueilli, dont il n'a jamais transgressé les lois, mais il s'est toujours senti étranger dans ce pays dont il ne parle ni n'écrit la langue, dont il ne partage pas les valeurs. Il ne se sent bien que dans son pays natal, qu'il n'idéalise pas pour autant. Tout le contraire de ses enfants, qui sont entrés dans la modernité : entre eux et lui règne une incompréhension mutuelle, à l'exception de Nabile, le neveu trisomique que lui a confié sa soeur, enfant adorable, et peut-être de sa plus jeune fille, Rekya, elle aussi sur la voie de l'intégration, mais qui ne s'est pas encore brouillé avec son père.

Toute ses réflexions  sont contées dans un style naïf, qui épouse l'esprit d'un homme n'ayant pas eu accès à l'instruction. Faussement naïf, faudrait-il dire, car le style est plus éloquent qu'il n'y paraît de prime abord, et s'autorise par ailleurs des effets étranges mais séduisants, comme cette hésitation entre première et troisième personne, ou ces dialogues qui ne sont pas annoncés comme tels (généralement plutôt des monologues, en fait).        

  Dans l'esprit désoeuvré de Mohammed, esprit fondamentalement rêveur, germe bientôt un rêve fou, qui redonne un sens à sa vie qu'il se met en tête de réaliser, un rêve constitue un défi à ce que nos sociétés occidentales ont admis comme étant le sens de l'Histoire : créer un "regroupement familial" à l'envers, de l'autre côté de la Méditerranée, dans une maison gigantesque censé accueillir toute la famille. La réalisation de ce rêve fait glisser le roman, certes ancré dans une réalité sociale tout ce qu'il y a de plus terre à terre, mais déjà volontiers onirique, vers l'insolite, puis carrément vers le fantastique, registre clairement affiché dans la toute fin. Les réflexions de l'auteur sur le rapport entre modernité et tradition prennent mènent vers une conclusion troublante qui en déconcertera  plus d'un, et qu'on ne peut pourtant pas, je pense, accuser d'être réactionnaire : le parcours de l'auteur, bien intégré dans l'intelligentsia française, le dément, et ses réflexions, à travers son fascinant personnage, sont trop complexes pour qu'on en titre une conclusion si facile. C'est cette ambiguité  qui rend le roman si passionnant.

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