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25 janvier 2017 3 25 /01 /janvier /2017 16:47

Plus d'un an et demi après avoir terminé ce magnifique roman qu'est L'homme qui savait la langue des serpents, je découvre, avec beaucoup de retard, la parution en français, toujours aux éditions du Tripode, d'un autre roman  de l'estonien Andrus Kivirähk. Si Les Groseilles de novembre est paru un an après L'homme...en français, il lui est antérieure de sept ans en Estonie. Mais tout le style de l'auteur y est déjà.

  Comme L'homme..., Les Groseilles de novembre nous emmène dans le monde des légendes estoniennes. Mais ici il n'est pas question de l'époque de la christianisation, plutôt du mondes des contes populaires tel qu'on pouvait les récolter au XIXe siècle, un monde qui ressemble aux Pays Baltes du XVIIIe ou début XIXe siècle, quand le servage existait encore, mais qui ne correspond en réalité à aucune période historique. Dans ce monde, les paysans volent leurs seigneurs et accomplissent d'autre tâche surhumaines au moyen des kratts (le roman est sous-titré Chroniques de quelque détraquement dans la contrée des kratts), des génies volants fabriqués avec de vieux objets et animés grâce au Diable, un Diable si facile à duper en signant avec du jus de groseille au lieu de sang...Dans ce monde, on croise des esprits et autres créatures plus ou moins effrayantes à chaque coin de campagne et de forêt, et on peut y capturer des vaches marines. Ces figures du folklore estonien ne nous sont que très peu décrites, Kivirähk adopte le style concis des contes qui laisse les visions fantastiques à l'imagination du lecteur -qui à l'origine était plutôt un auditeur, d'ailleurs.

  Mais que raconte ce roman, au fait ? Eh bien, il ne faut pas s'attendre à une intrigue suivie : il s'agit d'une chronique d'un mois de novembre, à raison d'un chapitre par jour, dans un petit village estonien, des intrigues qui s'y entremêlent et des saynètes autonomes autour des même personnages. Sur cette chronique, Kivirähk tisse une farce paysanne très drôle, et même franchement hilarante à plusieurs reprises (je crois que c'est un des très rares livres, peut-être même le seul livre sans image, qui m'aura fait pleurer de rire). S'il est évident que l'auteur admire les folklore paysan de son pays (ce qui est tant mieux : je pense qu'il n'y a pas de bonnes parodies sans amour de l'original)  les paysans en prennent pour leur grade, avec leur bêtise, leur veulerie, leur cupidité, leur mesquinerie. Quelques rares personnages émergent du lot : Sander, le granger, puissant magicien qui doit sauver maintes fois la mise aux paysans, son pendant féminin la sorcière Minna, et quelques autres personnages féminins. Si Sander est sans conteste le cerveau du village, il n'en reste pas moins un homme pragmatique, un homme de la terre ; ainsi, le choc des cultures qu'il éprouve, lui et le plus naïf régisseur Hans, devant les élégants romans de chevalerie par lesquels un "kratt de neige" berce les rêveries d'amoureux transis du second, compte parmi les pages les plus drôles d'un roman qui n'en est pourtant pas avare. Transition facile, la double histoire de désir sans espoir de réciprocité (Liina pour Hans, Hans pour sa belle châtelaine), si elle est raconté avec le même humour burlesque que les autres péripéties villageoises, y apporte une touche de mélancolie tragique. Car il faut bien se l'avouer : si le roman est furieusement drôle, son humour est noir, grinçant, et n'en éviter que mieux la pantalonnade éculée.

  La confirmation de ce qu'Andrus Kivirähk est un très grand auteur à suivre. 

   

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