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5 août 2014 2 05 /08 /août /2014 18:16

http://ecx.images-amazon.com/images/I/51NqYbgWywL._BO2,204,203,200_PIsitb-sticker-arrow-click,TopRight,35,-76_SX385_SY500_CR,0,0,385,500_SH20_OU08_.jpgContrairement à mon habitude, voici une étape du périple en fonction d'un thème et non d'un pays. Il sera question de deux essais, une lecture d'aujourd'hui même (mais pas entière, j'expliquerai pourquoi ensuite) et une ancienne lecture que celle-ci me remet d'autant plus aisément en mémoire que les deux livres forment un contraste saisissant.

 

  Le premier, c'est Les Pays légendaires, le "Que sais-je ?" de René Thévenin. Un numéro de 1946, dans sa troisième édition de 1961, et dont le moins qu'on puisse dire est qu'il fait largement son âge.

  Ce petit livre reste assez riches en informations et permet un bon tour d'horizon des pays légendaires de l'Antiquité à nos jours (il est divisé en trois parties : L'Antiquité ; Le Moyen-âge et la Renaissance ; Les Temps modernes) et s'il est très concis comme tous les numéros de la collection, centré sur les pays légendaires les plus connus, je serais le dernier à prétendre n'y avoir rien appris. En revanche il est phagocyté par des passages d'interprétations des mythes qui ne présentent plus d'interêt aujourd'hui. C'est que René Thévenin est obsédé par une drôle de chimère : la vérité historique derrière les mythes. J'ai toujours été convaincu, à la suite du monde actuel des études mythologiques, que rechercher la vérité derrière les mythes n'avait guère d'intérêt pour l'étude de ceux-ci, que les résultats de ces recherches étaient au mieux décevants, au pire grotesques, et que les mythes n'étaient intéressants qu'en tant que créations de l'imaginaire, comme tels offrant un témoignage de choix sur la mentalité des civilisations (y compris la notre, je ne peux dire le contraire avec mon cycle de lectures en cours sur les légendes urbaines). Or la dimension purement imaginaire n'intéresse guère Thévenin qui s'attarde très peu sur les récits, et semble même nourrir à l'égard de leur fantaisie des préjugés très positivistes, visibles notamment dans la dernière partie, et préfére largement s'étendre sur la quête des racines historiques.

  Ce n'est pas que ces passages soient médiocres : les arguments et la démonstration y sont en général très bien vus, et parfois troublant -certaines des réalités historiques se cachent bien derrière ces mythes, c'est indéniable. Mais cette démonstration est tellement vaine que je n'ai pu m'y intéresser, et j'ai allégrement sauté de longs passages pour me concentrer sur les récits eux-même, en regrettant que Thévenin ne s'y montre pas plus dissert.

  A la décharge de celui-ci, le problème s'efface dans la troisième et dernière partie sur les Temps moderne, la réalité  historique y est plus intéressante car il est question de pseudo-science -même si là encore les préjugés positivistes de Thévenin sont sans doute pour quelque chose  dans l'omission systématique et désolante des noms d'auteurs des théories. Dans le premier chapitre, qui traite des îles au trésor et des "île fantômes" -ces dernières ayant visiblement, jusque dans leur explication scientifique, inspiré L'Appel de Chtulhu de Lovecraft- le problème de la rationalisation ne se pose même plus, au moins pour les îles au trésor, car la légende et la réalité sont indiscernables et montrent la proximité du mythe avec notre civilisation moderne, ce qui ne pouvais que me fasciner en regard de mes lectures actuelles sur les légendes urbaines.

  Un ouvrage qui comporte malgré tout des passages intéressants, mais laisse sur sa faim.

 

  L'autre livre, nettement plus consistant, c'est L'Atlantide de Pierre Vidal-Naquet, que j'ai lu il y a quelques années déjà et que je n'ai pas relu aujourd'hui, me contentant de le feuilleter, mais ce feuilletages et mes souvenirs suffiront, je pense. Dans cet essai sous-titré Petite histoire d'un mythe platonicien, le grand historien antiquisant retrace en effet la postérité du mythe depuis son invention par Platon (dont il traite dans un premier chapitre) jusqu'à nos jours. Il apporte à ses recherches un soin impressionnant, qui montre son immense érudition autant que sa curiosité dans bien des domaines, retrouvant même la trace de l'Atlantide là elle ne se trouve pas explicitement, comme dans le roman W ou les souvenirs d'enfance de George Pérec, où il affirme être le premier à avoir identifé le mythe, et qui joue dans l'essai, très cohérent dans sa structure, un rôle sur lequel il me faudra revenir.

  L'enquête de Vidal-Naquet, passé le chapitre sur Platon, traîte d'abord de l'Antiquité, puis...passe directement à la Renaissance, où l'on redécouvre le mythe sous l'impulsion de la découverte de l'Amérique. Dés lors, le mythe devient un enjeu nationaliste, où l'Espagne sera pionnière mais où toute les nations rivaliseront, jusqu'à atteindre son paroxysme sous la période hitlérienne. Car la récupération nationaliste est bien le sujet principal de cette étude qui relève peu ou prou du scepticisme scientifique. Et l'essai file une très belle idée qui s'oppose au nationalisme mais dont j'ai également évoqué au début de ce billet le contraste avec le livre de Thévenin : le mythe de l'Atlantide est bien plus intéressant en tant que construction de l'imaginaire, tel qu'on commence à l'admettre au XIXème siècle avec Thomas Henri-Martin, et là-dessus Vidal-Naquet brode un véritable éloge de l'imaginaire, laissant poindre un suprenant souffle poétique derrière la rigueur irréporchable de l'étude. Après le point culminant de la période hitlérienne (bien que le même chapitre évoquent des théories pseudo-scientifiques ultérieures et idéologiquement plus soft)  l'avant-dernier chapitre termine la chronologie par un opéra d'Ullman et un roman (le fameux W ou les souvenirs d'enfance de Pérec) qui ont pour point commun d'être antinazis et, comme par hasard, d'être les oeuvres les plus affranchies de toute prétention pseudo-historique et les plus ouvertement oniriques. L'essai revient ensuite en arrière dans le temps pour parler d'occultisme, dans un dernier chapitre tout aussi critique mais dont le titre, emprunté à Bachelard, et les derniers mots  qui sont ceux de l'ouvrage placent résolument celui-ci sous le signe de l'imagination pure, à l'opposée de la fausse Vérité de la pseudo-science et de l'occultisme.

  Cette éloge de l'imaginaire me renvoie forcément, en ce qui me concerne, à une ambiguité que me cause la lecture de cet essai : car les théories farfelues  exposées dans l'ouvrage me font volontiers rêver au premier degré, avec plus ou moins mauvaise conscience il est vrai, et aussi salutaire qu'il soit, rien n'interdit de lire également cet essai pour ça.

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