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18 avril 2011 1 18 /04 /avril /2011 01:12

http://www.mnemos.com/JOOMLA2/images/couvertures/Bodin/L-Or-et-la-Toise-BD.jpg  

L'Or et la Toise est le titre du premier volume du triptyque Ceux des eaux mortes de Brice Tarvel, et l'un des derniers bébés d'une vague fantasy française décidement bien inspirée depuis quelques années.

 

    Le cadre du roman est prometteur : la Fagne, un pays entièrement marécageux, maudit par la faute des alchimistes qui ont deversé les détritus de leurs expériences dans les marais, mais surtout par le sort du magicien Vorpil : en Fagne du Nord tout est frappé par un sortilège de grandissement, tandis qu'un maléfice inverse fait rapetisser toute chose en Fagne du Sud. On voit tout de suite le potentiel de cette idée en terme d'images étonnantes.

  Mais d'abord, quoi qu'ça raconte tout ça ? Nous suivons donc deux, puis trois intrigues parallèles qui finissent par se rejoindre. En Fagne du Nord, deux traine-vases, comme on appelle les aventuriers errant, Jodok et Clingorne, passent un marché avec une sorcière obèse appellée Renelle : ils lui achétent du Toiseur, l'elixir qui maintient les personnes à leur juste taille s'ils ont les moyens de le payer, afin qu'ils se rendent en Fagne du Sud dérober son trésor au baron Tillot -un coup d'autant plus juteux que le trésor grandira une fois passée la frontière Nord. La sorcière Renelle, qui n'a pas été invité à l'expédition, décide alors de doubler ses complices en s'associant avec le nain Pauche et en s'embarquant avec lui dans le ballon de sa fabrication.

  Parallèlement, en Fagne du Sud, dans le château du baron Tillot, Candorine, fille bâtarde et méprisée du baron, et sa servante Alda sont prisonnières des cachots, et tentent une évasion compliquée. Elle ne réussisse dans un premier temps à ne trouver qu'une prison plus confortable aux cuisines : mais il ya bien plus grave : Candorine a été contaminée dans les cachots par les eaux souillées, et commence à se transformer en femme-poisson.

  Sur cette triple intrigue, il y a de quoi tisser pas mal de rebondissement enlevés, et en effet sur le schéma rebattu de la  chasse au trésor qui est le seul enjeu de ce premier tome, le lecteur en a pour son argent pour ce qui est de le tenir en haleine. On se doute bien sûr -et les derniers chapitres le confirmeront, faut bien qu'on ait le plaisir de dire "sans blague?"- que  l'enjeu du cycle  et de sauver le monde, enfin, au moins la Fagne quoi, mais cela est amené intelligement, car bien que les héros soient des bras cassés (c'est à dire les sauveurs du monde idéaux, comment ça on vous l'a jamais faite ?) il n'y aucune prophétie en jeu ; en fait, l'auteur se moque même ouvertement et à plusieurs reprise de la religion, avec ses Moines pourpres fanatiques et leur Dieu Mûm dont la momie  serait...d'origine extra-terrestre (un petit plaisantin ce Brice Tarvel, et j'aime ça). Tout ce sur quoi la Fagne peut compter, ce sont les rêves utopiste de Jodok, qui sont plutôt mal barrés, et même si l'on devine que le cycle finira bien, la tension est réelle, et se teinte même d'une tendresse pour ces bras cassés très éloigné des jeunes blanc-bec que la Force elle est avec eux. Plus encore que l'intrigue, très bon point pour les personnages, donc, sans tomber non plus dans une psychologie superflue.

 

  Mais le principal intérêt de roman, à la trame classique, est ailleurs  : dans ses images, et surtout dans sa langue. Je previens tout de suite, il faut aimer les descriptions (très bien amenées et intégrée, heureusement). En  effet, quand le cadre est propice à des images étonnantes (oui, c'est ce que je disais plus haut) dévelloper ce potentiel jusqu'au bout est le devoir le plus sacré d'un auteur. Le résultat est d'autant plus convaincant  que le Brice ne se contente pas de filer une idée unique, celle des sortilèges de grandissement et de rapetissement, mais parsème le roman de créatures étonnantes -la faune de Fagne est presque un personnage à part entière - et de magies inventifs et poétiques, très loin d'une représentation stéréotypée de cet art. Le tout dans le cadre de la Fagne, sinistre sous son mauvais temps permanent, et dont je ne pense pas exagérer en disant qu'elle est la vraie héroïne du roman.    

  Et  enfin, le clou du livre, la langue. Car Brice Tarvel n'aime pas faire simple, et a choisi de pasticher l'ancien français,  avec des mots archaïques qui montrent une belle érudition, par ailleurs rendue constamment accessible par des notes de bas de page que l'auteur dose soigneusement. Le modèle de l'écriture de Brice Tarvel, annonçé en quatrième de couv', c'est Rabelais, pas seulement pour la langue elle-même, mais pour l'ambiance fortement chargé sexuellement (j'hésite à parler d'érotisme, car en dehors d'un mignon chassé-croisé saphique, le cul est  rarement sexy dans le roman) mais aussi scatologiquement. Si vous adorez voir les clichés de la fantasy pleins de beaux paladins s'en prendre plein la goule (oui, c'est un mot du livre) précipitez-vous : l'auteur ne se contente même pas d'aligner des horreurs et des personnages moches (bon, d'accord, Jodok, Candorine et Alda sont quand même des amoureux largement baisables, si vous me passez l'expression) tout en appliquant une stratégie d'omission assez banale, mais offre de vrais moments de parodie, notamment dans les cliché de l'amour courtois (je vous laisse le plaisir la découverte)(et puis il y a l'ironie envers la religion dont j'ai déjà parlé).

 

 Ceux des Eaux mortes est donc une série qui démare sur des chapeaux de roue. Sans jamais quitter le domaine du divertissement léger, L'Or et la Toise montre ambition et originalité.  Que demander de plus ?

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