Ce dernier mois et demi, j'aurais décidément été en mode space op', et même, sans trop le chercher, en mode space op' français. Après m'être enquillé une douzaine de roman du genre écrits par Laurent Genefort (hop et hop), je me suis lu tout le cycle de Lanmeur dont le troisième et dernier tome de l'intégrale, en attendant le huitème roman sur lequel travaillerait parait-il l'auteur, est paru cet été.
Transition facile, avant de s'attaquer au texte lui-même, il faut saluer le merveilleux travail éditorial accompli par les éditons Ad Astra, qui fait oublier quelquyes défauts comme les coquilles (qu'on trouve certes dans tous les livres, mais qui ici sont parfois, pas souvent certes, carrément gênantes pour la compréhension) et qui mérite amplement son Grand Prix de l'Imaginaire. Dés le premier abord, l'objet fait envie : les couvertures d'Eric Scala sont sublimes, et c'est peu de dire que le cycle a dans l'ensemble gagné au change par rapport à sa première édition chez J'ai lu. Mais la valeur ajoutée de cette édition se trouve également au niveau du contenu, que ce soit dans le texte lui-même (outre une nouvelle inédite, Le Secret, à la fin du deuxième tome, on compte à la fin du premier des poèmes et chansons retranchés du premier roman Ti-Harnog, et une chronologie du l'univers de Lanmeur en fin du troisième) que dans le paratexte (textes introductifs de l'auteur lui-même en début de chaque roman, et même...une interview à la fin du premier tome ! Dans l'un et l'autre Christian Léourier se montre passionnant). De la belle ouvrage à la mesure de la beauté du texte; on ne peut que regretter que ce beau travail soit plombé par les distributeurs qui n'ont parait-il même pas déclaré le dernier tome (dont j'ai failli ne pas apprendre l'existence), rendant très difficile de se le procurer en dehors de la vente directe (je n'ai mêle aps réusi à en trouver une image copiable-collable sur ce blog, c'est dire). Comme s'il fallait que Léourier reste, comme disait un critique, "le secret le mieux gardé de la science-fiction française". Bon, ceci dit, ça n'empêche heureusment pas que la réédition en poche du premier tome soit prévue d'ici un mois chez Folio SF.
Le cycle de Lanmeur est constitué de romans autonomes (à l'exception des deux derniers, regroupés dans le dernier tomes, qui ont en commun des personnages et un argument central sur lequel j'aurais l'occasion de revenir dans la critique roman par roman) se plaçant tous dans le contexte d'une entreprise séculaire menée par la planèter Lanmeur et nommée lea Rassemblement : rassembler sous la bannière de la planète les innombrables humanités dispersées dans l'univers et qui, bien que n'ayant pas eu accés au voyage spatial, partagent des traits communs, notamment linguistiques, avec Lanmeur.
Cette toile de fond est l'occasion de tisser un univers et des intrigues d'une poésie rares, mêlant l'aventure et le dépaysement à la profondeur. Les mondes décrits par l'auteur ont une réelle consistance et en deviennent vertigineux, leur description s'appuient sur de solides notions d'ethnologie. En comparaison, la faune et la flore de ces monde est très effacée, la plus grande partie est de type terrestre. D'ailleurs ce sont les sciences dures en général et leurs application techniques qui sont effécés dans le cycle : une majeure partie des romans se passent dans des sociétés archaïques ; ce fait, joint aux consonnances volontiers celtiques des noms propres (à noter que le premier roman susmentionné comporte également des références au Kalevala finnois) et à l'absence apparente de lien entre l'univers de Lanmeur et le nôtre avec lequel il a pourtant de nombreux points communs (certes, ce flou se dissipe dans les toutes dernière pages du cycle, ce que j'ai regretté, car pour un lien si ténu on aurait pu garder le mystère, ce dernier étant prégnant dans le cycle -d'ailleurs ces romans sont tous courts voire très court sans pour autant être secs), tous ces éléments donnent à ces space opera une allure plus proche de l'héroïc fantasy. La poésie qui s'en dégage est mangifiéer par une prose très élégante, malgré les réserves exprimées plus haut. Tout ceci m'a fait fortement penser un autre cycle que j'adule, celui des Contrées de Jacques Abeille (hop, hop, hop et hop) même si ce dernier est plus contemplatif et d'un style encore plus virtuose.
Ti-Harnog nous montre un naufragé lanmeurien si étrange aux yeux des harnogéens que celui-ci inventent une caste rien que pour lui. Il faut dire qu'un homme jeune est déjà étrange pour les indigènes, car ils possédent une caractéristiques physiques qui est sans doute l'une des idées les plus étonnantes du cycle : tous naissent de sexe féminin et deviennent homme entre deux âges. Le roman est sans doute le plus épique du cycle, le seul à décrire de grandes batailles, et c'est aussi une touchante histoire d'amitié entre les peuples.
L'homme qui tua l'hiver ressemble à une relecture de ce mythe moderne qu'est la malédiction du tombeau de Toutankhamon. Même s'il est bien question d'une expéditon archéologique, menée par la lanmeurienne Akrèn avec le secours des indigènes, vers une cité-nécropole maudite enfouie sous les glaces de la planètes Nédim, le fantastique se trouve dans les croyances des nédans qui influent peu à peu sur Akrèn, de sorte que ce court roman s'aventure aux marges du fantastique tout en restant de la pure SF. La thématique de "l'ensauvagement" d'une représentante de la "civilisation" est passionnante, d'autant plus que Léourier y montre une grande cohérence en faisant correspondre le parcours personnel de l'héroïne à la déliquiescence de la colonie lanmeurienne au moment ou Nédim entre dans un hiver de cent-cinquante ans (la difficulté d'adaptation des lanmeurien est décidément un thème réucurrent du cycle).
On retrouve le même jeu avec les frontières du fantastique, rien qu'en jouant avec les croyances ancestrales, dans le roman suivant, Mille fois mille fleuve. Cette fois, le point de vue est celui d'une indigène qui, fait rare dans le cycle, parle d'elle à la première personne, ce qui cause une immersion totale dans une culture primitive. Mille fois mille fleuves est également le seul roman du cycle à être centré sur une histoire d'amour, un amour maudit et reprouvée entre l'épouse d'un fleuve, sur une planète où toute la vie quotidienne est organisée autour de ces cours d'eau, et l'un des "hommes-oiseaux" venus de Lanmeur.
Les Racines de l'oubli est sans doute le roman le plus percutant du cycle. Il est le seul à ne décrire aucune culture indigènes, sauf à travers les ruines antiques qu'elles sont laissé dans la jungle cauchemardesque de la planète Borgeoet. Borgoet est une planète bagne où atterrissent les réprouvés de Lanmeur, drogués au léthé, la drogue qui leur fait oublier jusqu'à la raison de leur séjour dans cet enfer. Extrêmement dur sans jamais être complaisant, narré à la première personne par un personnage qui s'avère être un connard fini, ce roman est l'archétype de la littérature coup de poing, à tel point que j'ai du interrompre plusieurs fois ma lecture tout en n'ayant qu'une envie, m'y replonger. Arrivé à peu près au milieu, le roman prend en un virage déconcertant en décrivant la révolte des bagnards qui établissent un nouvel état sur Borgoet. Le malaise s'y fait plus diffus, le roman sous-entend que la violence et l'oppression sont toujours prêt à refaire surface et le héros à retomber dans ses bas instinct, mais pourtant, c'est là que le roman se montre le plus intelligent, l'auteur ne tombe pas dans un pessimisme facile qui paraîtrait un peu nauséabond mais garde une touche d'espoir en un avenir meilleur. Peut-être le point d'orgue du cycle.
La Loi du monde revient aux cultures primitives dont le héros, Skiath, est issu mais est également enfant adoptif de Lanmeurien. Sur la planète Ti-Grid où chaque individu à sa propre "loi" dicté par son nom (intéressante thématique libertaire introduite -et assumée comme telle- dans une culture par ailleurs d'une dureté toute archaïque), Skiath part à la recherche de son nom véritable. Le roman amorçe un passage du cycle à des intrigues bien plus ambitieuses et complexes, à tel point qu'on est parfois un peu perdu dans les méandres de l'intrigue, sans être toutefois largué.
Le Secret, la nouvelle inédite jointe aux deux précédents romans dans le deuxième tome de l'intégrale, confirme que l'auteur a un art consommé de crééer des univers très denses dans des textes très courts. Il est ici question de croyances du peuple Barth autour des oiseaux et des âmes des morts, avec la même hésitation fantastique que dans L'homme qui tua l'hiver et Mille fois mille fleuves (qui entre parenthèse ont pour autre point commun avec la nouvelle d'être la meilleure preuve du style concis de l'auteur, car ce sont les deux romans les plus courts du cycle)
Le dyptique constitué par Les Masques du réel et La Terre de promesse, qui occupent le dernier tome de l'intégrale, continue sur la lancée des intrigues ambitieuses de La Loi du monde, mais dans un univers plus technologique et plus space opera, avec de vrais voyages d'un monde à l'autre, qui se multiplient de façon exponentielle dans le second roman du dyptique; j'ai toujours préféré le planet opera ou space opera classique, mais ici la concision de l'auteur fait merveille et il ne lui faut guère plus de quelques chapitres pour nous faire vivre une civilisation étrangère. Ces voyages spatiaux sont justifiés, surtout dans le deuxième roman, par le fait qu'ils se passent en fait autour puis dans un monde précis, un monde virtuel nommé l'Irgendwo. Le cycle acquiert une dimension dickienne et nous fait douter de la réalité même de l'univers de Lanmeur (et par là-même du nôtre) mais sans jamais trancher sur la question, ce qui est tant mieux pour le mystère.
Ce cycle est assurément un chef d'oeuvre de la science-fiction et même pas que française.