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19 septembre 2010 7 19 /09 /septembre /2010 21:29

Mon interêt pour l'ancienne culture polynésienne  est venue un peu au hasard des lectures : d'abord celle des mythes, sur lesquels deux livres sont parus dans l'excellente collection A l'aube des peuples chez Gallimard ; pas forcément la pente la plus abordable pour découvrir cette fascinante civilisation ; puis sont venus les romans, avec l'emprunt toujours par hasard de l'anthologie Polynésie, les archipels du rêve chez Omnibus.

  Je vais donc parler des trois romans que j'ai pu lire jusqu'à présent (dont deux faisaient partie de cette anthologie) et qui ont offert des regards différents sur les peuples Pacifique et, plus précisement,  sur Tahiti.

 

La civilisation polynésienne reste une grande incomprise de l'occident, non à cause d'un cliché du sauvage anthropophage avec un os dans le nez, mais du cliché inverse : celui du peuple hédoniste vivant couronné de fleurs dans son paradis tropical.

  Le mariage de Loti de Pierre Loti, l'un des romans regroupés dans l'anthologie Omnibus, s'inscrit dans cette veine d'exotisme léger teinté d'érotisme, ce qui ne l'empêche pas d'être trés intéressant  littérairement. S'inspirant largement de sa propre epxérience (toutefois le Loti  du roman n'est pas Pierre Loti) l'auteur nous décrit la vie du narrateur à Tahiti, ses amours avec sa jeune épouse indigène. L'occasion à la fois de célébrer la douceur de vivre d'une civilisation et de déplorer sa perte (ce qui ne va pas sans racisme envers les Chinois, éternels ennemis de Tahiti dans la littérature océaniste, jusque chez le peintre Gaughin).

  Le principal interêt du roman n'est pas selon moi dans cet exostisme facile, mais dans quelques trés beaux passages introspectifs à la limite du fantastique  : ainsi le vague à l'âme du narrateur, arrivé sur une autre île, ressentant toute l'étrangeté du monde ou il est arrivé ; ou bien la fin, d'un onirisme trés troublant et dérangeant, du genre à revenir hanter ses nuits longtemps aprés avoir refermé le livre.

  Bref, assurément, le livre n'a rien d'un exotisme kitsh, même si un ethnologue, ou un polynésien un peu soucieux de son identité, y trouverait abondamment à redire.

 

 

Les Immémoriaux de Victor Segalen, par contre, change carrément d'optique. C'est le cas de le dire, la vision du "sauvage" chez Segalen rompant avec tout ce qui s'est écrit avant, faisant du romancier le précurseur (1907) de l'ethnologie moderne, bien avant Lévi-Strauss lui-même !

 

  C'est que Segalen a choisi de donner la parole au peuple tahitien à travers ses mythes.

  Nous assistons à l'arrivée des missionaires occidentaux à Tahiti, à la fin du XVIIIème siècle, vu de Tahiti.

  Cette fois, plus de bons sauvages et de vahinés lascive, pas plus que de mauvais sauvages (plus rare dans la littérature océaniste, mais ça existe) mais une civilisation riche et complexe, à la fois raffiné dans les plaisirs et dans la cruauté, le lien de l'un à l'autre passant par le Sacré.

 

   Nous suivons donc Paofaï, de la caste des Arioï (les balladins sacrés) et son disciple Terii (dont il est laissé entendre qu'il pourrait être le fils de Paofaï, ce qui est un grave manquement à la régle Arioï, ceux-ci ne devant pas laisser vivre leurs enfants). Devant l'arrivée des "hommes aux nouveaux-parler" (les occidentaux) ceux-ci partirons en quête d'une écriture destinée à préserver la langue maorie. En vain, et au retour l'histoire aura coulé beaucoup plus vite sur Tahiti que pour les voyageurs (il y aurait fort à dire sur la façon dont cette impression est rendue par la longeur des trois partie, la seconde et la plus courte étant dévolue au voyage). Tahiti est devenue chrétienne et se convertit à la culture occidentale, ce sur quoi l'auteur s'étend autant que sur l'ancienne culture, faisant peu à peu basculer le récit vers la noirceur.

 

  De fin d'une civilisation, il n'en est pas question dans C'était le soir des Dieux de Jean Dorsenne, autre roman de l'anthologie Omnibus.

 C'était le soir des Dieux est paru en 1925 aux éditions Ferenczi, connue pour ses romans-feuilletons et autre romans d'aventures à quatre sous, tel le ravissant Les aventuriers du ciel de RM de Nizerolles.

  Le roman de Dorsenne détonne parmi les productions à l'exotisme parfois bon marché de l'auteur, mais aussi encore, bien sûr, parmi la littérature coloniale de l'époque.
 La stratégie, on l'aura compris, et la même que celle des Immémoriaux de Segalen : donner la parole au peuple polynésien à travers ses mythes.
 
  Mais cette fois, pas question de décrire par ce biais une réalité historique, mais de se projeter dans les mythes, dans un monde difficile à situer autrement que celui d' "il était une fois", une Polynésie ou la magie règne.

Bref, dans la France des années 20, Dorsenne est en train de faire de la proto-fantasy !.

 

Le roman est centré sur la caste des Arioï, les balladins sacrés voyageant d'île en île, et qui ne peuvent avoir d'enfants, quitte à pratiquer l'infanticide.

 L'héroïne, Nohoraï, comprend qu'elle est faite pour être femme de l'Arioï Nita (ce n'est pas un cliché romantique, nous somme dans une société régie par le sacré, ne l'oublions pas). Cela donne lieu à une scène hallucinante ou le jeune homme avec qui elle a été élevée et qui l'aime depuis ce temps, Teraï, accepte d'être sacrifié à un couple qui n'a plus grand chose à faire de lui.

  La suite, qui relate notamment la rivalité de l'ancienne favorite de Nita, est surtout un prétexte à la découverte de ce monde de légende, qui recéle des passages grandioses tel la nuit de l'initiation du jeune Arioï.          

      
  Obstacle majeur cependant pour apprécier sa lecture : le style n'a rien de la prose poétique sobrement ciselé de Segalen, destinée à rendre la poésie maorie. Non que Dorsenne se regarde écrire de manière purement nombriliste. Mais il a choisi pour son épopée mythique de pasticher le style homérique et ses métaphores (eh oui !). Cela ne manque pas d'interêt, mais on aime ou on aime pas (je reconnais que j'ai eu un peu de mal par moment).

 

  Si je devais conseiller en priorité l'un des trois romans, ce serait celui de Segalen, bien sûr  en partie pour son statut de classique, mais aussi sur le plan personnel car c'est l'un des plus beaux romans que j'ai pu lire. Ce qui n'empêche pas les autres de montrer un certain interêt (surtout, à mes yeux, la "proto-fantasy" de Dorsenne).   

 

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