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18 décembre 2010 6 18 /12 /décembre /2010 17:43

  Little Nemo, le personnage de Windsor McCay, jeune voyageur onirique au pays de Stumberland, m'aura bercé de mon enfance à ma vie d'adulte sous un peu toutes les formes possibles. Parti à 11 ans de l'anime japonais scénarisé par Chris Colombus (ç'aurait pu être Ray Bradbury !) j'arrivais à l'âge adulte à la véritable oeuvre originale, pierre fondatrice de la BD américaine pour le moins, pour lequel  mon handicap de non-anglophone m'a hélas obligé à me contenter de l'édition tronçonnée (de peu pour le premier tome, en plus) de Pierre Horay.

  Et entre deux, il y a eu la version 90's que je viens de relire, celle de Moebius (excusez du peu) et Bruno Marchand, dont j'avais lu le premier tome quelques mois après l'anime et le second...environ neuf ans après, un comble pour deux suites directes -à la différence des deux albums réalisés ensuite par Marchand seul, histoires indépendantes qui ne m'intriguent guère pour l'instant.

 

http://ecx.images-amazon.com/images/I/51QAXAYBN3L._SL500_AA300_.jpg 

Evidemment, il serait ridicule de bâtir cette chronique sur une comparaison entre cet hommage et l'oeuvre de Windsor McCay, dont elle n'atteindra jamais ni l'ampleur (des centaines de cartoons d'une page qui finirent par former de grands cycles d'aventures), ni le délire imaginatif presque constant (du moins à la grande époque, de 1905 à 1910), ni tout simplement l'importance dans l'Histoire de la bande dessinée. Moebius et Marchand le savent bien, dans sa charmante lettre adressée au grand cartooniste, où ils écartent toute prétention de surpasser ou même remplacer le maître. Ce n'est effectivement qu'un hommage.

  Mais alors, si on oublie comme il se doit l'oeuvre initiale, quel hommage ! L'univers de Marchand  et Moebius (dont j'ai été surpris d'apprendre qu'il n'était pas le dessinateur) offre un enchantement bien digne de l'oeuvre pastichée.

  L'oeuvre a bien entendu été modernisée. Ce qui ne passe plus entre 1905 et 1994, c'est l'absence de scénario (précisons que l'oeuvre de Mccay consiste en épisodes hebdomdaires d'une page correspondant chacun à une nuit, au terme de laquelle Nemo se reveille en sursaut -les deux héritiers n'oublient d'ailleurs pas le malicieux clin d'oeil, en fin de chaque tome, à l'image canonique de Nemo  tombé au pied de son lit). Pour la version de Moebius et Marchand, le scénario suit curieusement, sans doute parce qu'elle est bien pratique en terme d'enjeu dramatique, la ligne générale de l'anime : le pays des rêves de Stumberland est doublé d'un pays du cauchemar, dont le Mauvais Roi kidnappe la Bon Roi de Strumberland.

http://ecx.images-amazon.com/images/I/5103031TH7L._SL500_AA300_.jpg 

Mais le parallèle s'arrête là. D'abord parce que l'antagonisme rêve / cauchemar  ne se passe pas du tout comme dans l'anime, étant surtout totalement dépourvu de manichéisme. Ici le royaume du Mauvais Roi est essentiel au pays, et de plus, le Mauvais Roi est censé paradoxalement être gentil, jusqu'à cette menace d'invasion qui a lieu, non pas comme dans l'anime parce que Nemo a libéré le grand méchant pas beau qu'il fallait laisser enfermé, mais bien parce qu'il se passe quelque chose d'anormal qui bouleverse l'ordre du monde des rêves. Ca c'est ce qui s'appelle de la subtilité : le prétendu pays des ténèbres est en fait un voisin nécessaire qui a droit à l'existence, de quoi donner des complexes à tous les écrivaillons de fantasy qui ne pensent qu'à génocider le Mordor.

  La deuxième raison pour laquelle le parallèle ne tiens plus, c'est l'univers qui  est tout à fait personnel au deux auteurs -même par rapport à celui de McCay  dont ils se sont intelligemment affranchi. Sous le crayon de Marchand nait des décors sublimes, tels les nuages d'argent où les deux pays des rêves, dont le mauvais fait sans doute du deuxième album le sommet du dyptique. Le scénario est une collaboration des deux hommes, et Moebius n'hésite pas à rappeller qu'il est avant tout un pilier de la science-fiction française : sans doute faut-il lui attribuer des allusions audacieuses comme  l'évocation de multiples dimensions à propos des mondes des rêves, ou le méchant de l'histoire qui projette d'envahir le monde réel.

 

  Plutôt que de faire une copie maladroite qu'aurait écrasé une inévitable comparaison avec le chef-d'oeuvre original, les deux auteurs ont donc livré une vision toute personnelle, qui du coup n'en reste que plus libre à l'ombre de McCay.

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