Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
13 décembre 2013 5 13 /12 /décembre /2013 23:04

http://www.surlarouteducinema.com/media/02/01/2801119626.jpg  Du réalisateur danois Dreyer, j'avais déjà vu, en ayant oublié qu'il s'agissait de lui, le film franco-allemand Vampyr (1932) chez-d'oeuvre expressioniste  à l'esthétique très particulière (il fut tourné avec une caméra donnant une image floue, à la suite d'un défaut technique dont le réalisateur apprécia le résultat). Le visionnage de ce film au cinéma (projeté en 16 mm !) fut une expérience pour le moins curieuse, hypnotique dans les deux sens, celui de soporifique et celui de fascinant, me laissant dans un état second auquel les conditions de projection (son très bas pendat  une partie du film, notamment) ont sans doute contribué.

 

  Je n'ai plus ressenti les même sensations une petite année plus tard, soit hier, à ma deuxième rétro ciné d'un film de Dreyer, Jour de Colère, donc. Mais je n'ai pas perdu au change en me prenant une grosse claque de manière plus lucide. 

  Ce film, le second tourné après Vampyr et quand même 11 ans plus tard, au Danemark cette fois, et adapté d'une pièce de Wiers-Jensen, prend place dans le Danemark  de 1623, période de la chasse aux sorcières dans toute l'Europe. Anna, jeune femme d'un vieux pasteur, tombe éperdument amoureuse de Martin, le fils de ce dernier, passion coupable dont il est dire sous-entendu, mais sans guère laisser de doute, qu'elle la ménera au bûcher.

  Le premier intérêt du film réside dans cette histoire d'amour coupable...parce qu'elle n'a justement rien à voir avec avec les histoires d'amour coupable telle qu'on en voit tant au cinoche. Nous n'avons pas vraiment un couple maudit qui finit seul contre tous, mais une femme maudite qui finit seule contre tous, ce qui est autrement  plus cynique, réaliste, et glaçant. Glaçant, le film l'est tout entier, jusque dans sa  mise en scène froide, lente (parait que la lenteur est une critique récurrente contre beaucoup de film de Dreyer dont celui-ci..allons donc),  presque dépouillée (je sais pas si on peut vraiment parler de mise en scène dépouillée avec cet effort de reconstitution historique, on dira au moins très sobre). Même la passion des amants, si elle est réelle et donne lieu à un beau dialogue déséspéré à l'occasion d'une promenade en barque, semble occuper peu de place dans le film comparé à l'omniprésence étouffante de la religion.

  En revanche, comme dénonciation de l'obscurantisme, le film est assez ambigu, et c'est là qu'il commence à être très dense : en  effet, si Anna est présentée avant tout comme une victime, il est fortement suggérée qu'elle est une vraie sorcière, sous l'effet conjuguée de son hérédité maternellme et d'une malédiction lancée avant le bûcher par la sorcière Marte qui a, justement, sauvé sa mère du même sort. Anna a peut-être des pouvoirs qui la mènent peut-être à causer la mort sans le vouloir, elle ne les contrôlent pas mais ils la fascinent, et la jeune femme n'est pas non plus dépourvue de cruauté latente, loin de là. Au niveau de cette question de la sorcellerie, il y a une hésitation typiquement todorovienne entre étrangeté explicable et fantastique (et auquelle l'esthétique expressioniste de Dreyer sied d'ailleurs à merveille). Mais sur le plan moral, l'ambiguité est plus grande encore, et on se demande vraiment comment Dreyer considére cette histoire de sorcière. A ne pas trancher entre rationalisme (on voit quand même bien la mascarade inquisitoriale et ses aveux bidons dans le procés de Marte) et obscurantisme, le film adopte une non-position qui en déstabilisera plus d'un et que d'aucun pourront trouver douteuse. Mais ce côté "pas très clair" est selon moi l'une des grandes forces du film, qui laisse le spectateur se faire sa propre opinion en le dérangeant au passage. Un film décidément étrange et intéressant.

Partager cet article
Repost0

commentaires