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28 mars 2016 1 28 /03 /mars /2016 11:11
Black Hole, de Charles Burns

Emprunté par hasard à la bibliothèque de ma petite ville, ce Black Hole aura été une claque monumentale.

Paru en 2005 et traduit en français l'année suivante, ce pavé BD en noir et blanc pend place dans les années 70 dans une ville américaine (le résumé sur le rabat de la couv' dit banlieue de Seattle, mais je ne me souviens pas avoir vu apparaître ce nom nulle part, et comme c'est la ville où a grandi Chalres Burns à l'époque qui inspire l'histoire, je me méfie). Charles Burns s"inspire donc de sa jeunesse, et la BD se passe en effet dans le monde du lycée.

Black Hole est une de ces "transfictions" qui mêle réalisme et argument fantastique : ici, il s'agit de la "crève", une maladie transmissible sexuellement et qui en traîne des mutations monstrueuses. Cette maladie ne provoque aucun étonnement chez les personnages : elle est parfaitement intégrée dans le monde de Black Hole, pourtant si proche du notre, ce qui procure un fort sentiment d'étrangeté. Les mutations peuvent aller jusqu'à une bouche sur la poitrine ou un queue animale, ces dernières n'étant pas pas les plus pesantes dans la BD car leurs victimes arrivent à les cacher aisément et en outre ne dégoûtent par leurs partenaires amoureux, tandis que d'autres personne se transforment littéralement en monstre et sont obligés de vivre dans les bois. On peut y voir là une métaphore très forte (et même pas forcément subtile : la "mue" de l'adolescence est prise au pied de la lettre plusieurs fois, offrant dés le début de la BD l'image stupéfiante d'une peau de jeune fille abandonnée dans la forêt) de la peur de devenir adulte, d'être figé dans une forme dégoûtante, physiquement, mentalement et socialement. Le fantastique complète donc l'aspect réaliste de la BD et offre une peinture au vitriol de l'adolescence et du monde merveilleux du lycée, prenant à contrepied les clichés romantiques de la période hippie (qui est de toute façon en train de mourir au cours de l'album, n'empêche que les étudiants hippies qui y apparaissent ne valent pas mieux que les ados les plus cruels). Et ce même si, paradoxalement, un authentique souffle romantique traverse la BD, avec deux histoires d'amour dont la plus belle est aussi la plus tragique.

Tout ceci n'est pas la seule force de la BD : celle-ci dérape fréquemment vers l'onirisme (voir, époque de l'intrigue oblige, vers le psychédélisme), offrant des pages surréalistes et toujours cauchemardesques, sublimées par la qualité du graphisme en noir et blanc. L'onirisme est difficile à gérer dans un récit, mais la BD n'a rien de foutraque, grâce au sens du récit consommé de Charles Burns. On peut ainsi citer la double scène où un attouchement minime mais imprudent, une main posée sur le ventre, est vécu par les points de vue des deux protagonistes, la jeune Chris délirante et le jeune Keith lucide ; ou bien la scène terrifiante où on ne sait pas exactement ce que Keith a vu par la fenêtre de la maison de Chris, même si on peut aisément le reconstituer par la suite.

Un chef-d’œuvre, assurément.

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